Partis
à la chasse aux jeunes
par Xavier
Molenat - publié le 16/04/02 - Réagir
à cet article sur le forum
C'est bien connu, les jeunes se foutent de la politique.
Mais ils peuvent faire basculer le scrutin. Plongée dans les mouvements
jeunes des partis, qui tentent de draguer de "nouveaux électeurs" parfois
surprenants.
Les jeunes voteront-ils ? Pour qui ? Voilà une question
à laquelle nombre de responsables politiques aimeraient bien avoir une
réponse. Marquant traditionnellement une forte abstention, le vote des
"nouveaux électeurs" est l'un de ceux susceptibles de jouer un rôle-clé
dans un scrutin où les écarts de voix risquent de se réduire à une peau
de chagrin. Les 18-24 ans pèsent en effet 13 % du corps électoral et les
politiques savent qu'ils sont pour beaucoup dans la victoire de Jacques
Chirac en 1995. Conscients de ce fait, les candidats, dont aucun ne semble
spontanément à l'aise face aux mystérieux "djeunes", se tournent de manière
quasi-instinctive vers leur "mouvement jeune" pour rameuter les sauvageons
vers le sage chemin des urnes. En souhaitant qu'ils fassent le bon choix...
Confrontés à une population a priori blasée par la politique, les jeunes
militants tentent de trouver la formule qui permet d'attirer son attention.
Pokemons et carton rouge
Un tour d'horizon des mouvements jeunes des grands partis permet de vérifier
que dans tous les cas, la propagande politique fait l'objet d'une adaptation
spécifique. A la fin de l'année 2001, tous se sont mobilisés pour mener
des campagnes incitant les réfractaires à s'inscrire sur les listes électorales.
Depuis que la course à l'Elysée a vraiment commencé, les structures jeunes
multiplient les actions ciblées. Chez Chevènement par exemple, les militants
de "Génération République" produisent des tracts spécifiques, travaillent
le lettrage et, bien sûr, adaptent leur langage. Ils revendiquent un "succès
raisonnable" pour leur opération "Carton Rouge", qui visait à "sortir"
les deux sortants Jospin et Chirac. La Souris Verte, le forum des jeunes
Verts, essaie elle d'être plus festive en organisant des concerts et en
invitant des associations. Ces jeunes écolos ont également pondu "Présimon",
un petit livret spécial élection présidentielle sur le thème des Pokémon,
incitant entre autres à voter Mamère. Egalement au programme de tous les
mouvements jeunes, les inévitables rencontres avec les étudiants dans
leurs universités, figurations dans les meetings, les tractages et les
collages...
Salade niçoise
Que pensent les mouvements jeunes des jeunes ? Interrogés sur l'attitude
des électeurs potentiels qu'ils rencontrent, les responsables de ces structures
délivrent un verdict plutôt surprenant : les jeunes s'intéressent à la
politique. Oui ! Mais à leur manière. Pour Romain Blachier, membre du
Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et du Parti Socialiste à Lyon,
"il est clair qu'il y a eu une individualisation des comportements mais,
en même temps, les jeunes s'intéressent aux phénomènes de société. Seulement,
ils ne font pas le lien avec la politique. Quand on dit 'Chirac bouffe
pour 4 000 balles par jour', pour eux, c'est les affaires, et c'est ça
la politique. Par contre, pour des choses comme le RMI, les allocations,
ils ne font pas le lien." Anthony Mangin, président des jeunes UDF,
souligne le pragmatisme des jeunes électeurs : "Ce qu'on voit sur le terrain,
c'est une sorte de grande salade niçoise. Les jeunes n'ont pas trouvé
chaussure à leur pied, ils ne sont pas 'illuminés' par un candidat. Ils
attendent qu'il y en ait un qui leur parle autrement." Le gage d'un bel
optimisme.
Retour de baffe
Si l'on écoute les partis, personne n'a à se plaindre de la prétendue
indifférence des jeunes. Cyrille Minso, président de Génération République,
qui soutient Chevènement, dit même être "très bien accueilli" : "Nous
avons fait tous les quartiers difficiles en France, où nous avons eu des
contacts et des discussions. Nous délivrions un message simple : pour
nous, les immigrés ne sont pas noirs, beurs, juifs, etc. Ils sont Français,
point. Ca a été un succès total. Sans doute cela a-t-il été plus difficile
pour ceux qui ont été au pouvoir dernièrement !" Les jeunes Verts, eux,
bénéficient d'une assez grande sympathie chez les jeunes, où ils réalisent
souvent leurs meilleurs scores. Au PC, on se plaint simplement d'être
perçu "à travers un discours qui n'est plus le nôtre depuis un certain
temps, productiviste et utopiste au mauvais sens du terme." Anthony Mangeain,
président des jeunes UDF, assure lui que la fameuse baffe de Bayrou a
eu son petit effet jusque dans les cités du Val de Marne...
Engagement à la carte
Les responsables réfutent également l'idée que les jeunes récusent l'engagement.
Simplement faut-il s'entendre sur ce que l'on entend par là. "Les jeunes
s'engagent à leur manière, de manière sans doute plus distanciée. Pour
eux, le clivage gauche - droite est moins important, leurs repères sont
différents. Ca ne les empêche pas de s'engager contre le SIDA, contre
l'amendement Mariani ou pour le PACS" analyse Marie-Pierre Vieux, membre
du comité exécutif du Parti communiste. Même son de cloche chez les jeunes
Verts : selon Alexis Deck, membre du comité exécutif de la Souris Verte,
"chaque génération a connu sa forme particulière d'engagement. Dans la
génération précédente, on s'engageait au nom d'une idéologie. Aujourd'hui
on s'investit sur un petit secteur, et l'on vise des effets concrets à
court et moyen terme."
Poils à gratter
Les jeunes partisans sont-ils donc si différents des autres ? Alors que
l'on dit souvent les partis exsangues, les mouvements jeunes disent ne
pas connaître de véritable désaffection. Le chevènementiste Cyrille Minso
assure avoir enregistré 700 adhésions depuis septembre 2001. La composition
sociologique des "jeunes républicains" ? "Un tiers de jeunes actifs, cadres
de toute sorte, un tiers d'étudiants d'université et de grandes écoles
et un dernier tiers d'étudiants type IUT, et de chômeurs en décalage.
Si bien que nous voyons le 'fossé social' à l'intérieur même du mouvement".
Romain Blachier, lui-même chômeur, note lui que l'audience du MJS, essentiellement
étudiante, s'est ouverte à "des salariés ou de jeunes agriculteurs, et
à des gens qui ne savent pas exactement dans quel sens bouger, ou qui
sont amenés par un ami". Les mouvements jeunes se situent donc plus à
gauche que leur parti aîné, même chez les jeunes UDF, où Anthony Mangeain
se revendique du "centre - centre gauche". Tous revendiquent le rôle de
"poil à gratter" des anciens. Seule exception peut-être : les jeunes Verts,
chez qui "la fracture génerationnelle est moins forte".
Génération anti-Mitterrand
A la veille du scrutin, comment le facteur jeune va-t-il influencer le
scrutin ? Quand on les interroge sur les différences entre la campagne
en cours et l'élection de 1995, tous les militants de gauche, Romain Blachier
le premier, soulignent "l'effet repoussoir" généré à l'époque par l'héritage
Mitterrand. Pour le Vert Alexis Deck, "on constate dans toutes les formations
un creux au niveau des 30-35 ans. C'est la 'génération Miterrand' qui
a accédé à la citoyenneté sous le mandat du président socialiste. Ce sont
ceux qui votent et qui s'engagent le moins." Pour Marie-Pierre Vieux,
"le vote Chirac (majoritaire chez les jeunes en 1995, NDLR) était surtout
un vote de sanction de l'existant, mais sans conviction libérale, plus
pour la 'fracture sociale'". Le soutien du Che Cyrille Minso, d'ailleurs,
était de ceux qui avaient fêté la victoire de Chirac sur la place de la
Concorde, le soir des résultats. Aujourd'hui, Chirac l'a évidemment "déçu
par ses choix, ou plutôt par ses non-choix" : Aujourd'hui, je ne connais
aucun de mes amis de l'époque qui le soutienne. Le candidat Chirac est
en rupture totale avec les réalités d'aujourd'hui. Jospin, lui, est juste
capable de gouverner, il n'a pas trouvé une voie de rupture."
Retour des jeunes gauchistes ?
Aujourd'hui, qu'en est-il du fameux "vote jeune" ? Un sondage publié par
la Sofrès en mars 2002 semble indiquer un renversement de tendance. Selon
cette enquête effectuée auprès de 500 jeunes ayant atteint la majorité
entre le 8 mai 1995 et le 20 avril 2002, c'est Lionel Jospin qui l'emporterait
très largement au second tour, avec 59 % des suffrages, Jacques Chirac
ne recueillant que 41 % des suffrages. En 1995, une enquête du même type
lui en donnait 55 %... Au premier tour, les intentions de vote se portent
majoritairement sur les candidats de gauche : 30 % pour Jospin, 14 % pour
Arlette Laguiller, 10 % pour Mamère. Ceux qui font fuir : Chevènement
(5,5 %), Hue (2 %), Le Pen (6 %) ou Boutin (6 %). Les autres questions
révèlent aussi quelques faits significatifs : ainsi, s'ils ne sont que
36 % à se déclarer "assez" ou "beaucoup" intéressés par la politique,
les jeunes expriment tout de même l'opinion que l'élection présidentielle
est "quelque chose de très important" (40 %). Au hit parade des cotes
de popularité, c'est Arlette Laguiller qui l'emporte avec 60 % d'opinions
positives, devant Lionel Jospin (59 %) et Noël Mamère (50 %). La fidélité
aux idées et la posture "critique" auraient-elles payé ? Reste que rares
sont les jeunes qui disent avoir une "très bonne" opinion de ces candidats.
Toi aussi, mon fils ?
Qu'en conclure ? Dans un texte synthétique sur l'attitude des jeunes face
à la politique, Anne Muxel, chercheuse au Centre d'Etudes de la Vie Politique
Française (CEVIPOF) indique que "le rapport quelque peu paradoxal que
les jeunes entretiennent à la politique" est caracterisé par "une certaine
indifférence, matinée d’exigence critique et d’une profonde insatisfaction".
La chercheuse rappelle également que "seule une petite moitié de jeunes
participe réellement à la décision électorale", et souligne qu'ils n'ont
pas à proprement parler de revendications "corporatistes" : les thèmes
qui les intéressent sont les mêmes que ceux qui animent la population
dans son entier. La chercheuse va plus loin et affirme qu'il n'y a plus
vraiment de "vote jeune spécifique". A ceci près qu'une forme de fracture
serait en train de s'instaurer entre les jeunes diplômés et les autres.
Si les premiers, "bien que fortement critiques à l’égard de la politique,
restent attachées aux principes de la démocratie représentative", les
jeunes peu ou pas diplômés montrent en revanche "un retrait de toute forme
de participation politique, mais aussi un lien démocratique plus ténu.
C’est parmi cette fraction de la jeunesse que l’on a pu observer de façon
assez constante ces dix dernières années un vote pour le Front National,
(...) plus affirmé que dans l’ensemble de l’électorat". Décidemment, la
chasse aux jeunes fait redécouvrir les grandes questions politiques.
|