La fracture
people
par Caroline
Cordier - publié le 12/04/02 - Réagir
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A défaut de clivage droite-gauche, voici le fossé "people"
: Jospin reprend du "gratin" quand Chirac mise sur les anonymes. Voyage
dans le starsystem des deux poids lourds.
Lionel Jospin apparaît sans conteste comme le candidat
préféré du showbiz. Le 6 mars, Bertrand Delanoë, maire de Paris et président
des comités de soutien du candidat, avait rendu publique une liste de
430 noms de personnalités essentiellement du monde des arts et du spectacle,
rangées derrière le Premier ministre. Beaucoup de beau monde. Lorsque
Jacques Chirac a lui présenté son projet culturel au Théâtre du Palais
Royal le 8 avril, les journalistes cherchaient évidemment les personnalités
et les artistes, qui se sont révélés beaucoup moins nombreux. Le Figaro
avait remarqué que "les stars n'étaient pas légion", tandis que Libération
ironisait franchement sur la "poignée de stars" ressortie par le candidat.
Ensemble
"Jacques Chirac n'a jamais eu la cote dans le milieu culturel", résume
Vanessa Schneider dans Libération du 9 avril, ce qui expliquerait qu'il
ait été entouré au Palais Royal "d'amis de son âge", des fidèles déjà
présents en 1995. On a pu ainsi voir Ginette Garçin, Line Renaud, Hugues
Aufray, Henri Salvador, mais aussi Yves Duteil, Michel Leeb et Muriel
Robin. Les conseillers politiques du Président s'étaient alors empressés
de préciser : "Ce n'est pas un comité de soutien. Jacques Chirac ne joue
pas les paillettes et le show-biz." Ce serait peine perdue. Lionel Jospin
peut lui opposer une liste de personnalités médiatiques à faire pâlir
le plus opiniâtre et blasé des paparazzi. Qu'on en juge : des comédiens
(Anouk Aimée, Pierre Arditi, Yvan Attal, Sandrine Bonnaire, Emmanuelle
Devos, Antoine de Caunes, Chiara Mastroianni, Jeanne Moreau, Jacques Weber,
Elsa Zylberstein, Virginie Ledoyen, Michel Piccoli, Elie Semoun, Marie-Christine
Barrault, Sophie Duez, Francis Huster), des chanteurs et musiciens (Lio,
France Gall, Benjamin Biolay, Manu Di Bango, Juliette Greco, Enrico Macias,
Cheb Mami, le groupe Tri Yann), des metteurs en scène (Jérôme Savary,
Patrice Chéreau, Costa-Gavras, Claude Miller, Ettore Scola), des écrivains
(Régine Deforges, Irène Frain, Yann Moix,Bertrand Poirot-Delpech, Tahar
Ben Jelloun, Marie Darrieussecq, Mazarine Pingeot, Daniel Picouly, Jorge
Semprun, Irène Frain) mais aussi des universitaires (Jean-Marie Charon,
sociologue, Georges Haddad, président de Paris I, Jacques le Goff, historien,
Jacques et Mona Ozouf, historiens), et quelques sportifs également, certes
moins connus que le chiraquien David Douillet, comme Franck Adisson (canoë-kayak),
Cécile Nowak (judo), Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux (rugby).
Bref, une brochette à mi-chemin entre Love United et Les Enfoirés, au
choix. Dans ce collectif goldmanement baptisé "Ensemble", les grands absents
sont les chefs d'entreprise, ce qui n'est qu'une demie-surprise...
Sans-papiers
Le jour de la présentation de cette socia-liste, tout ne s'est pourtant
pas passé comme on pouvait s'y attendre. Pour commencer, Bertrand Delanoë
est venu seul devant les photographes, qui en étaient pour leurs frais
s'ils espéraient réaliser une collection de photos digne de Cannes. "Ne
vous fatiguez pas avec les photos, ils ne sont pas là et moi je ne suis
pas candidat", avait alors ironisé le maire de Paris. L'effet de surprise
était quelque peu atténué par le fait que la liste était en grande partie
composée des mêmes personnalités que pour la campagne de 1995. Même si
Bertrand Delanoë n'y voit naturellement que du positif : "Le renouvellement
de leur engagement prouve que les cinq années passées au gouvernement
n’ont pas diminué la confiance. Au contraire, elle s’est même enrichie.
De jeunes premiers, qui ne s’étaient jamais engagés en faveur d’un candidat
à l’élection présidentielle. Et d’autres sont à venir..." Une ombre au
tableau doré, le même après-midi, l'invasion de l'Atelier de campagne,
non par des VIP mais plusieurs dizaines de sans-papiers qui, au son de
tam-tam ont manifesté à l'entrée du QG jospinien. "Arrêtez Jospin, libérez
les sans-papiers !" ou "Charters, y en a marre ! Fausses promesses y en
a marre! Papiers, papiers !" sont quelques-uns des slogans qu'ont scandé
les déçus des promesses non tenues de la gauche plurielle. Aucun lien
entre les deux évènements ? Le parallèle n'est pourtant pas anecdotique...
Les Nobel Manquants
En effet, Ariane Chemin, journaliste politique du Monde et auteur d'une
"Histoire de la gauche plurielle", souligne l'enjeu : "Si Stéphane Hessel,
ancien médiateur des sans-papiers, a 'signé' pour Lionel Jospin, on ne
trouve en revanche presque aucun des jeunes cinéastes de la 'nouvelle
nouvelle vague' (Matthieu Amalric, Bruno Podalydès, Xavier Beauvois, Arnaud
Despleschin, Olivier Ducastel, Cédric Klapisch, Marion Vernoux ou Manuel
Poirier) qui s'étaient engagés en 1996 ou à l'été 1998, lors de la grève
de la faim du temple des Batignolles, pour réclamer la régularisation
de tous les sans-papiers. Pas davantage évidemment Bertrand Tavernier
qui milite aujourd'hui, avec son film 'Histoires de vies brisées', pour
la suppression de la double peine." La journaliste parle aussi d'une "violente
guerre interne entre scientifiques" que le Parti socialiste ne souhaiterait
pas commenter et qui expliquerait l'absence de certains prix Nobel (Georges
Charpak, prix Nobel de physique, Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie...).
Cette guerre serait "née du passage de Claude Allègre rue de Grenelle",
auquel certains chercheurs reprochent de n'avoir pas assez écouté la communauté
scientifique. Lionel Jospin aurait pourtant directement téléphoné à "Michel
Broué (mathématicien) pour tenter de pacifier ces querelles. Cet ancien
complice de M. Jospin à l'OCI, que l'on peut croiser au local de campagne,
a ainsi rédigé, pour le site Internet du comité de soutien, une lettre
apaisante de réconciliation à destination de la communauté scientifique."
En vain, semble-t-il.
Grande famille
En attendant, la liste s'allonge sur le site internet du candidat socialiste,
www.lioneljospin.net. Mille
personnalités sont répertoriées : certaines, évidentes mais indiquées
tout de même, font sourire. Qui douterait que "Sophie Agacinski, actrice"
(belle-soeur de Lionel), "Allègre Claude, géophysicien", "Chatelet Noëlle,
écrivain" (soeur de Lionel) le soutiennent ? On peut noter la présence
de "Pingeot Mazarine, écrivain", qui montre que la famille mitterrandienne
est partagée puisque Roger Hanin (beau-frère de François Mitterrand) soutient
Robert Hue et avait déclaré fin mars à l'hebdomadaire Actualité juive
: "Lionel Jospin m'est profondément antipathique. J'ai un vrai mépris
pour lui, pour sa fourberie et pour tous ses comportements. Jacques Chirac
lui, est éminemment sympathique".
Sociétés anonymes
De son côté, Jacques Chirac tisse des relations plus confidentielles et
institutionnelles. Dans le Point du 15 février, Catherine Pégard listait
les personnalités consultées par le Président et les spécialistes auprès
desquels il aime prendre conseil. Pour autant, la journaliste remarquait
que le candidat "craint de s'enfermer dans des réseaux ou des cercles.
Il voit tout le monde mais dissimule ses vraies attaches". Hormis les
politiques, le papillon Chirac aime à consulter des "anonymes, dont lui
seul a la connaissance exhaustive, qui vont du proviseur de lycée au médecin
des 'toxicos' en passant par le paysan de Corrèze". Parmi les noms connus,
sont souvent reçus à l'Elysée Jean-François Mattéi, DL, médecin et spécialisé
en bioéthique, Nicolas Hulot, consulté sur l'écologie, Bernard-Henri Lévy,
Jacques Julliard, Alain-Gérard Slama, et plusieurs patrons : François
Pinault, Bernard Arnault, François Roussely (EDF), Jean-Pierre Denis (Vivendi),
Thierry Breton (Thomson)... Dans le monde de l'art, Chirac voit Jean-François
Jarrige (directeur du Musée Guimet), Stéphane Matin (futur directeur du
Musée du quai Branly), Jean-Jacques Aillagon (directeur du centre Pompidou
et prétendant au ministère de la Culture) ou encore des galéristes comme
Christian Deydier ou Jean-Gabriel Mitterrand, authentique neveu du célèbre
François, présent le 9 avril au Palais Royal... Jacques Chirac mise en
tous cas plus sur des fédérations politiques locales : impossible de rivaliser
avec le carnet d'adresse de Lionel Jospin en terme de "people" parisiens...
Cire-pompes
Mais à quoi sert donc une pléiade de stars ? Quel message doit y voir
l'électeur ? Pour Bertrand Delanoë, c'est "une chance pour notre pays
que ces personnes veuillent être dans le débat démocratique." Le collectif
socialisant "Ensemble" ne serait donc pas un club de supporters : "Ces
gens ne viennent pas du tout dans un climat clientéliste, de cire-pompe.
C'est une démarche citoyenne." Très bien, mais si l'on est habitué à voir
les stars s'engager pour des oeuvres caritatives (Restos du coeur, Lutte
contre le Sida, Pièces jaunes, etc.) et mettre à profit leur cote de popularité
pour inciter les Français à mettre la main au porte-feuille, dans quelle
mesure leur engagement aux côtés d'un candidat va-t-il pousser les électeurs
vers l'isoloir ? Les candidats ne sont pas des causes humanitaires...
La réponse ne doit pas être si évidente, ou au moins dépendre des aleas
de l'actualité politique. Le PS n'a ainsi pas toujours joué la carte "people"
et sait parfois faire vibrer la corde "vrais gens". Ainsi, en décembre
2001, certains maires français refusaient de donner au buste de Marianne
le visage et les courbes du mannequin Laetitia Casta. A Lagraulière en
Corrèze, la municipalité avait choisi d'inaugurer une Marianne dont le
visage était une synthèse de photos de visages de sept femmes du village.
Lors de la cérémonie d'inauguration, François Hollande avait livré un
couplet touchant sur la place des petites gens face au gotha des starlettes
parisiennes : "La République s'est-elle faite avec des stars, a-t-elle
été créée par les plus favorisés, les plus riches et les plus privilégiés
? La République de tous doit être la République pour tous". "Tous" apprécieront...
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