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net-campagne à la française...
par Xavier
Molenat - publié le 12/04/02 - Réagir
à cet article sur le forum
Internet change-t-il quelque chose à la présidentielle
? Avec les pionniers américains et britanniques, les participants du 3ème
Forum de la démocratie électronique ont tenté de tirer les leçons de l'expérience
en cours....
"La net-campagne transforme-t-elle la donne ?" C'est une
des questions que se sont posées les participants du 3ème Forum international
de la démocratie électronique, réunis à Issy-les-Moulineaux aujourd'hui
et hier (Lire "Cliquez, faites cliquer !"). Animé par François Freby,
fondateur de l'Observatoire de la net-campagne, la table ronde réunissait
des intervenants de poids pour qui s'intéresse au sujet : Kate Mac Carthy,
responsable de la e-campagne du parti travailliste anglais de Tony Blair
et, surtout, Ben Green, ancien directeur des opérations Internet du vice-président
Al Gore, candidat malheureux à la présidence des Etats-Unis en 2000. Pour
la France, c'était le politologue Thierry Vedel qui était censé dresser
un premier bilan de ce qu'on appelle la net-campagne "à la française".
French amateurs
Malheureusement, le spécialiste de la France n'avait pas grand-chose à
offrir, sinon des généralités sur Internet dans la campagne présidentielle.
Il est vrai que le Réseau est difficile à appréhender scientifiquement,
par manque de ressources et d'informations objectives sur le nombre de
sites existants, leur fréquentation, le comportement des internautes...
Dès lors, évoquant le contenu disponible en ligne, Thierry Vedel a simplement
noté que "l'offre concernant la campagne est sur-abondante. Tous les candidats
ont un site, même si certains sont très élaborés et certains basiques."
Le politologue remarquait aussi que ces sites s'étaient orientés "vers
une tentative d'implication des militants, aux dépens des programmes",
d'où sans doute une "sous-utilisation des fonctionnalités" du Web. pour
Thierry Vedel, ce phénomène est lié au caractère "encore très amateur
des campagnes en France, contrairement à la professionnalisation massive
que l'on peut voir aux USA, par exemple."
JH, Internaute, Ext-Dr
Si les acteurs du Web politique sont encore amateurs, les internautes
français sont-ils plus mûrs ? Thierry Vedel dressait un portrait-type
du citoyen-internaute gaulois : "Il est a priori plus intéressé que la
moyenne par la politique, plus proche des extrêmes, et plutôt de droite."
Il douchait également les rêves d'un peuple cyber-citoyen quêtant avidement
l'information politique sur le Web : sur une population d'internautes
en âge de voter estimée entre "8 et 12 millions de personnes, soit entre
20 et 30 % de l'électorat inscrit, seuls quelques milliers suivent très
régulièrement quelques sites politiques. Entre 30 et 50 000 suivent régulièrement
quelques sites, et entre 300 et 400 000 consultent occasionnellement au
moins un site". A cela, une raison toute simple : "Pour chercher l'information
sur le Web, il faut du temps et des compétences cognitives", ressources
inégalement distribuées dans la population. Enfin, Internet subirait lui
aussi les lois du "pouvoir médiatique" : "La campagne reste conditionnée
par les médias traditionnels. Ce sont eux qui attirent vers les sites."
Comme dans la "vrai vie", en somme.
Conversion en ligne
Bref, l'écart par rapport aux campagnes anglo-saxonnes reste important.
C'est ce que montraient les interventions du démocrate Ben Green et de
la travailliste Kate Mac Carthy. Pour ces spécialistes, un site Internet
de campagne est loin d'être un simple outil de communication. Ce sont
même des machines à tout faire : on y recrute des militants, on y lève
des fonds, on répond à l'adversaire en temps réel, on organise des journées
thématiques... Les deux intervenants soulignaient l'importance stratégique
de l'e-mail et du "conversion factor" : sur chaque page de leurs sites,
ils incitent le lecteur-militant potentiel à donner son e-mail, afin de
constituer une véritable "communauté". Cette communauté est ensuite divisé
en "target groups" (groupes cibles), qui reçoivent des messages spécifiques
selon leurs intérêts : environnement, retraites, emploi... Pour ce faire,
les Machiavel en ligne utilisent des technologies spécifiques, qui indiquent
par exemple si les gens ont ouvert leur courrier, s'ils ont cliqué sur
les liens qu'il contenait, etc. Bref, ça "profile" sec.
Satanés e-bushmen !
Il semble que l'on puisse mobiliser via le Réseau : d'après Ben Green,
c'est grâce au mail que l'équipe de Georges Bush a pu envoyer un grand
nombre de militants en Floride, dans les comtés où se déroulaient les
fameux recomptages des voix, afin d'entraver la procédure. Le site d'Al
Gore, lui, n'avait pas été maintenu au-delà du jour de l'élection, ce
que Ben Green considère a posteriori comme une "énorme erreur". Cela entretient
au moins la fiction que le Net a fait basculer la présidentielle ricaine...
Voteswap
Autres spécificités anglo-saxonnes : l'utilisation courante des SMS et
des "messageries instantanées" pour communiquer avec les militants. Kate
Mac Carthy était très fière d'annoncer que, grâce à une action de ce type,
elle a obtenu des articles de couverture dans 6 journaux : "Il fallait
montrer que le parti travailliste est un parti moderne". Dans la même
veine, les sites d'ailleurs des espaces de rencontres "on-line" pour les
militants. Avant la table ronde, François Freby rappelait l'existence,
aux USA, de sites "d'échanges de votes", ou "voteswap", sur lesquels les
supporters d'un candidat dans un Etat qui lui était acquis proposaient
de voter pour un autre candidat, souvent le troisième homme vert Ralph
Nader. En échange, le supporter de Ralph Nader s'engageait à voter pour
un des deux gros candidats dans un Etat qui pouvait basculer. Kate Mac
CArthy évoque également un petit jeu sur le thème des services publics,
détourné du célèbre Pacman, qui avait eu son succès, ainsi qu'un site
spécial pour les jeunes orienté sur le thème "Il faut aller voter". Avantage
: "Avec ce type de programmes, on parle de politique autre part que dans
les pages politiques". Bien joué.
Money money money
Et tout ça, combien ça coûte ? Après de longues précautions, Ben Green
lache le chiffre : entre 1 et 1,2 million de dollars (1,25 million d'euros).
Kate Mac Carthy, elle, annonce 100 000 livres (160 000 euros) de budget
pour trois mois de campagne, mais sans compter les locaux gratuits et
les armées de bénévoles. A titre de comparaison, Lionel Jospin, de loin
le plus gros budget de net-campagne français, a misé 400 000 euros en
s'inspirant visiblement de Tony Blair (notamment sur la retransmission
en direct, sur le site, des événements de la campagne). Chirac se traîne
aux alentours de 130 000 euros...
La table ronde des chevaliers de l'e-démocratie démontrait donc surtout que la net-campagne française reste un ton en-dessous des prouesses accomplies par les précurseurs anglo-saxons.
Mais les deux univers ne sont pas comparables terme à terme, ne serait-ce que parce que les
systèmes politiques sont différents. Ainsi, certains éléments comme les jeux parodiques ne
seraient pas forcément bien perçus en France. A bon entendeur, salut. François Freby
concluait qu'on avait affaire à "une différence de degrés, pas de nature". Mais avons-nous
envie du modèle anglo-américain, beaucoup plus "intrusif" ? Y aurait-il un modèle de
net-campagne "à la française" ? Pour répondre à ces questions, il faudra sans doute attendre
après le 5 mai. Un suspense de plus.
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