Act
Up voit rouge
par Alexandre
Piquard - le 08/04/02 - réagir
à cet article sur le forum
L'association
de lutte contre le sida est entrée en campagne. Après avoir harcelé Jospin,
Act Up invite tous les candidats de gauche à débattre et prépare même
des listes aux législatives. Interview.
Act
Up compte bien faire entendre sa voix dans la campagne. La célèbre association
de lutte contre le sida a mené plusieurs actions pour rappeler aux candidats
ce qu'il restait à faire pour les malades du sida, en France et dans le
monde. Après une perturbation du meeting de Christine Boutin le 27 Janvier
au Zénith de Paris, c'est le candidat Jospin qui est devenu la cible privilégiée,
mais non exclusive. Action la plus marquante : une campagne d'affichage,
où l'on voit le premier-ministre candidat de dos, en noir et blanc. Un
texte, rédigé à la première personne, dit : "En 5 ans, j'ai parlé 2 fois
du sida et 2 fois j'ai menti". S'ensuit une critique de l'inaction du
gouvernement Jospin sur ce thème, qui se termine par une question tranchante
: "Pourrez-vous voter pour moi ?"
Harcèlement
démocratique
Pour poursuivre l'effort, Act Up a également perturbé quelques meetings
du candidat socialiste. Le 8 mars, alors que Lionel fêtait la journée
de la femme au Palais Omnisports de Bercy, des militants d'Act Up se sont
invités sur la tribune en affichant sur des banderoles "Sida en Afrique,
Jospin raciste". Même thème, autre action le 3 avril, ou des militants
ont tenté d'interrompre la conférence de presse de Jospin portant sur
la politique internationale, en criant "vous êtes raciste". Ce harcèlement
démocratique, qui continuait hier lors d'un réunion sur l'exception culturelle
française dans un cinéma parisien, a bien fini par agacer Jospin...
Pour
ne pas faire que dans le spectaculaire, Act Up a complété son action de
campagne par un travail de débat de fond. L'association a ainsi convié
tous les candidats de gauche à venir rencontrer les militants, lors de
ses réunions hebdomadaires du mardi soir. "Noël Mamère est venu il y a
15 jours, on recoit demain Olivier besancenot et Nicole Borvo (à la place
de Robert Hue) doit venir le 16 avril", précise Emmanuelle Cosse, ancienne
présidente d'Act Up. "On aurait préféré voir Jospin, mais il n'a pas cru
bon répondre à notre demande" regrette-t-elle. Ces réunions sont pourtant
ouvertes à tous...
INTERVIEW
Jérôme Martin, Act Up
"Devenez minoritaire !"
Jérôme
Martin, 28 ans, "homo et séronégatif", est vice-président d'Act Up depuis
deux ans. Futur prof de français, il travaille a plein temps pour l'association
de lutte contre le sida en tant qu'objecteur de conscience.
Vous
vous engagez fortement dans la campagne présidentielle. Est-ce un changement
de startégie ?
Pas
vraiment. Nous avons déjà été actifs lors de plusieurs élections passées.
Ce qui est nouveau, c'est d'avoir individualisé nos interpellations, qui
ne sont plus dirigées vers les hommes politiques en général mais vers
un candidat rpécis. Il y a 7 ans, nous avions défilé sous le mot d'ordre
"Votez séropo !", en détournant les slogans de campagne de tous candidats.
Nous avions aussi mené une action spécifique contre Jacques Chirac, en
tant que maire de Paris, sur les thèmes de la prévention contre les drogues
et de l'accès au logement. En ce qui concerne la présidentielle en cours,
Act Up a décidé d'agir dès l'assemblée générale de septembre dernier et
bouge concrètement depuis janvier. Nous avons choisi deux axes stratégiques
: nosu invitons les candidats de gauche à nos réunions hebdomadaires du
mardi soir et nous accentuons notre rôle de lobby sur la gauche plurielle,
car c'est elle qui a gouverné pendant les 5 dernières années.
Vous
dites que Lionel Jospin vous "doit des comptes". Avez-vous l'impression
que vous pouvez lui faire des reproches car vous avez contribué à le faire
élire ?
Eh
bien, lors des législatives de 1997, Act Up a fait des choix : juste après
la dissolution, nous avons co-fondé, avec d'autres acteurs du mouvement
social, le collectif Nous sommes la gauche. En gros, nous disions que
la gauche ne gagnerait pas sans nous et nous pariions sur une victoire
de la gauche plurielle en tentant de les obliger à aller à gauche, justement,
en soutenant nos revendications : contrat d'union civile entre homosexuels,
légalisation des drogues, lutte contre la précarité, relèvement des minima
sociaux, régularisation des sans-papiers, etc. Aujourd'hui, 5 ans après,
nous voyons que le gouvernement n'a pas agi pour remédier à ces problèmes.
Jospin n'a satisfait nos revendication qu'à moitié pour les sans-papiers
et le Pacs, et pas du tout en ce qui concerne la précarité et les minima
sociaux.
Que
reprochez-vous à Lionel Jospin ?
Nous
voulons l'interpeller sur son programme et sur ses engagements, mais aussi
peser sur les deux derniers mois de son mandat de premier ministre, qui
pourrait voir se concrétiser des mesures, même petites. Que peut-il faire
pour prouver sa bonne foi et nous montrer qu'il est encore de gauche ?
Nous avons donc décidé de lui mettre la pression en publiant des affiches
le montrant de dos avec le slogan : "Pourrez-vous voter pour moi ?" L'opération
a connu un certain succès et a un peu agacé Jospin. En termes de visibilité
dans la campagne, on met le paquet sur deux thèmes : l'accès aux soins
dans les pays en voie de développement le problème des détenus atteints
de pathologies graves.
Que
n'a pas fait Jospin pour l'accès aux soins des pays sous-développés ?
Si
la France, tant par Jospin que Chirac, a pris des positions politiques
sans ambiguïtés sur la question de l'accès aux soins, il y a un gros problème
concernant l'engagement financier. L'achat et l'export de médicaments
à bas prix est aujourd'hui possible, malgré l'industrie pharmaceutique,
et la France a le devoir et la responsabilité historique de dégager les
sommes nécessaires pour donner l'exemple aux pays développés moins progressiste
et aux pays en voie de développement, qui n'achètent pas, de peur des
représailles de l'industrie pharmaceutique. En mai 2001, lors de la création
par l'ONU du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la
tuberculose, Lionel Jospin a fait une promesse de contribution pour la
France à hauteur de 50 millions d'euros par an. Nous considérons que cette
somme, qui n'a pas encore été versée, est beaucoup trop faible par rapport
aux moyens de la France et aux besoins énormes. Nous dénonçons donc le
fait que l'aide publique au développement international française soit
en baisse depuis 5 ans et proposons une contribution réaliste d'un milliard
d'euros par an. C'est pour dénoncer ce déséquilibre entre malade des pays
développés et sous-développer que nous avons traité Jospin de "raciste"
lors de plusieurs actions : lors de son meeting 2002 femmes le 8 mars,
lors de la conférence de presse du lancement de sa campagne, lors d'une
intervention donnée mercredi dernier sur le rôle de la France dans le
monde et hier, en s'allogeant en travers de son passage, alors qu'il sortait
d'une réunion sur la politique culturelle au cinéma des cinéastes à Paris.
Pourquoi
attaquez-vous le gouvernement sur la situation des détenus atteints de
pathologies graves ?
Nous attirons
l'attention sur la situation des détenus atteints de pathologies graves
car le gouvernement s'est engagé il y a deux ans a agir en s'appuyant
sur les 50 mesures d'urgence recommandées par un rapport parlementaire.
Aujourd'hui, aucune de ces mesures n'a été appliquée et il y a même un
projet de loi de réforme pénitentiaire récent, à l'initiative de Marylise
Lebranchu (Garde des Sceaux, NDLR), qui les ignore aussi et suit une logique
très sécuritaire. Nous manifestons donc tous les vendredis devant le ministère
de la Justice. Il y a urgence : il y a encore des dizaines de morts par
an, un ou deux viols reconnus par semaine et 500 détenus se sont suicidés dans les prisons françaises au cours des cinq dernières années.
Vous
n'attaquez pas Jacques Chirac. Que pensez-vous de sa politique ?
On
va faire quelque chose et on n'apprécie bien sûr pas plus sa politique.
Mais l'opération est beaucoup plus difficile. Nous considérons que nous
n'avons rien à attendre de la droite, dont nous connaissons les positions,
sur bon nombre de thèmes : statut des étrangers, régularisation des sans-papiers,
égalité des droits pour les homosexuels, lutte contre la maladie en prison,
légalisation des drogues... Pourtant, Chirac s'est bien gardé de se mouiller
sur certains thèmes comme le Pacs, afin de ne pas paraître trop ringard
aujourd'hui, par rapport à des gens comme Christine Boutin. On interpelle
Jospin mais il était important pour nous de commencer la campagne en zappant
Boutin pour lui montrer qu'on avait pas oublié, malgré son changement
de look, les insultes homophobes lors de sa manif contre le Pacs en janvier
1999 : "les pédés au bûcher" ou "les homos, vous pouvez crever avec votre
sida". Pour Chirac, on va trouver un moyens de l'interpeller sur nos deux
thèmes dans les semaines à venir. En tant que président, c'est par exemple
lui qui donne son accord pour les demandes de grâce médicale pour les
détenus. Il en a accordé très peu et le système est tellement lourd que
les prisonniers sont souvent morts avant d'avoir la réponse. Nous lui
poserons aussi la question du financement de l'accès aux soins pour les
pays en voie de développement car il a mené la politique étrangère de
la France conjointement avec Jospin.
Vous
soutenez beaucoup de causes en dehors de votre objet de départ : la lutte
contre le sida. N'avez-vous pas peur de devenir trop généralistes ?
Non.
Le choix de nos thèmes s'est fait en fonction des urgences : on meurt
plus du sida en prison qu'à l'extérieur et on meurt plus du sida en Afrique
qu'en France. C'est une question de vie ou de mort. Act Up est une association
que l'on rejoint pour des colères personnelles mais qui n'ont de solution
qu'en lien avec d'autres causes. Et c'est grâce à notre identité homosexuelle
forte que nous pouvons soutenir d'autres combats, où nous voyons des points
communs évidents, avec les détenus ou les étrangers, par exemple. Nous
sommes une association à portée universelle mais notre universalisme n'est
pas abstrait comme celui de Jospin ou Chevènement qui, à chaque fois que
l'on porte les revendications des minorités, des femmes, des sans-papiers
ou des détenus, nous disent que cela pose problème avec le principe de
la République une et indivisible...
Vous
allez pour la première fois présenter des candidats Act Up aux prochaines
législatives. N'avez-vous pas peur de perdre de votre crédibilité en tant
que critique des politiques ?
On
en a assez des stratégies où les politiques se disent totalement d'accord
avec nous pendant les campagnes électorales et ne concrétisent rien de
nos revendications. Cela rejoint le débat entre l'universalisme et le
communautarisme : pour défendre notre point de vue aux législatives, nous
avons choisi le slogan "Devenez minoritaire !" Cela veut dire qu'il est
possible de légiférer en notre nom en tant que minorité, car les élus,
de droite comme de gauche, sont incapables de nous donner satisfaction
sur des revendications propres : égalité de droit pour les homosexuels,
droit de vote des étrangers, régularisation des sans-papiers, légalisation
des drogues, lutte contre le pouvoir de l'industrie pharmaceutique. Il
faut reconnaître le point de vue des minorités et légiférer à partir d'un
situation concrète, pas à partir d'un universalisme abstrait. En allant
aux légslislatives, Act Up veut montrer que c'est possible, qu'on peut
légiférer par soi et pour soi. Et la politique, c'est comme un vieux rêve
à Act Up, que nous pourrons réaliser bientôt, même si l'aspect financier
d'une campagne est problématique.
A
titre personnel, qu'allez-vous voter ?
Je
n'en sais rien, sincèrement. Pour le premier tour, je suis tenté par Noël
Mamère mais sans plus de conviction. Pour le deuxième tour, c'est vraiment
dur. Je sais bien que Jospin sera toujours mieux que Chirac mais il m'a
tellement déçu, pour tout ce qu'il na pas fait pendant 5 ans. Plus que
tout, c'est le mépris, au sens physique, que j'ai ressenti en le rencontrant
il y a 15 jours à son atelier de campagne, avec d'autres associations
de lutte contre le sida. Il est hautain, n'écoute pas, se moque de nos
revendications et refuse des mesures de bon sens. Mes parents ont été
des déçus du mitterrandisme et je crois qu'à un moment, il faut savoir
prendre acte du fait que Jospin et les socialistes sont de droite. Quand
je vois que Jospin propose de mettre des mineurs de 13 ans en prison,
ça me dégoûte. Je sais bien que c'est très dommage et que l'abstention
fait le jeu de la droite mais ma rencontre d'il y a 15 jours m'a dégoûté.
Le PS n'a qu'à prendre ses responsabilités.
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