Israël-Palestine
: indignation et inaction
par Alexandre
Piquard - publié le 02/04/02 - Réagir
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Face à l'escalade inédite du conflit israélo-palestinien,
les présidentiables ont tous réagi. Mais, au-delà de l'indignation, pourquoi
les favoris de l'élection ne font-ils rien ?
Le pire peut-il toujours empirer ? C'est la question que
semble poser le conflit israëlo-palestinien. Les derniers jours ont amené
l'affrontement à un niveau sans précédent deuis le début de la deuxième
intifada, en novembre 2000. Les attentats contre les civils israéliens
ont fait 102 victimes au mois de mars et ont atteint un rythme quotidien
et une charge symbolique unique pendant la célébration de la Pâques juive,
jusqu'à aujourd'hui. De son côté, le gouvernement Sharon a lui aussi atteint
un paroxysme de violence en lançant ces derniers jours une politique de
réoccupation et de destruction de plusieurs villes palestiniennes. Proches
du sommet de l'escalade, les deux camps sont aussi dans une impasse totale
et semblent prêts à perpétrer un bain de sang. Face à cet énième hausse
de l'intensité d'un conflit diplomatique central, que disent les politiques
?
Terrible terreau
Le conflit du Proche-Orient s'invite dans la campagne. En moins d'une
semaine, les attentats de Tel Aviv, Haifa, Netanya et Jerusalem et l'invasion
de l'armée israélienne du quartier général de Yasser Arafat, des villes
de Ramallah et Tulkarem et de plusieurs camps de réfugiés palestiniens
ont obligé les candidats à la présidentielle à réagir. Le lendemain du
sommet de Beyrouth organisé les 27 et 28 mars par le Conseil de la Ligue
arabe, les deux favoris ont ainsi une fois de plus crié leur indignation
: "J'en appelle solennellement au sens des responsabilités du premier
ministre, Ariel Sharon, et du président Yasser Arafat pour prendre immédiatement
toutes les mesures afin de faire cesser la violence. (...) Rien ne peut
justifier ou excuser un terrorisme aveugle qui s'attaque aux civils, et
l'attentat, pour prendre le dernier en date, de Netanya (...) ne peut
être que condamné avec horreur. Mais chacun sait, à la lumière des événements
de ces derniers mois, qu'il ne peut pas y avoir de solution militaire
au conflit du Proche-Orient." a dit Jacques Chirac. Lionel Jospin a lui
communiqué sa "condamnation totale des attentats sanglants perpétrés contre
la population israélienne", mais a souligné que "la lutte nécessaire contre
le terrorisme doit être menée par des moyens qui ne détruisent pas les
chances de la paix". Depuis, les événements n'ont fait qu'empirer, les
attentats répondant à la répression et au blocus total des zones réoccupées,
privées d'eau et d'électricité depuis 5 jours. Transmis par des témoins
internationaux et des sources palestiniennes, les récits d'exactions de
l'armée israélienne (exécutions sommaires, destruction de bâtiments appartenant
à des ONG, interdiction des secours médicaux...) se sont ajoutés à la
crainte soulevée par le renvoi par les militaires des journalistes et
des observateurs internationaux. Dans ces territoires déclarés "zones
militaires interdites" par le gouvernement Sharon, on sent qu'un drame
est sur le point de se jouer.
Dire et ne pas faire
Au-delà des déclarations indignées, que font les candidats ? Pas grand-chose.
Chirac a choisi de réagir promptement aux attentats antisémites survenues
en France ce week end et Lionel Jospin a présenté dans Libération son
programme de politique étrangère. Si le candidat socialiste condamne les
bien sûr "effroyables" "attentats-suicides" et la brutalité du gouvernement
Sharon, il ne se montre pas plus volontariste : "Aujourd'hui, personne
ne pèse vraiment. Ni les pays arabes, ni les Etats-Unis - parce qu'ils
ne le veulent pas - ni l'Europe, à qui le gouvernement israélien, malgré
les liens d'amitié qui existent avec les pays européens, et notamment
avec la France, ne veut pas donner l'occasion d'exercer une influence."
L'impuissance semble être à la mesure de l'indignation... Mais que faudrait-il
donc pour que la France fasse "quelque chose" ? Pour Henri Bertholet,
un député socialiste, secrétaire du groupe parlementaire d'études à vocation
internationale sur les territoires autonomes palestiniens, beaucoup d'éléments
sont pourtant réunis pour une action politique plus forte de la France.
Le plan de paix, d'abord. Outre les résolutions et sommets récents, les
termes de l'accord élaboré au cours de l'année par le gouvernement israélien
d'Ehud Barak et Yasser Arafat sous l'égide de Bill Clinton seraient une
solution envisageable pour les deux parties. Fondée sur le principe général
"terres contre paix", ils prévoient la création d'un état palestinien
viable, le partage de Jérusalem entre les deux camps et l'arrêt des violences,
sous contrôle international. Pour Henri Bertholet, qui a lors de ses voyages
rencontré Arafat, Shimon Peres et l'ancien premier ministre israélien
Netanyahu, ces accords règlent même la question très sensible des réfugiés
palestiniens, en donnant une formulation acceptable pour les deux parties
: "Les Palestiniens savent qu'Israel ne peut accepter le retour sur son
territoire de millions de réfugiés. Une formulation par laquelle Jerusalem
reconnaît officiellement le 'dommage' causé aux réfugiés serait acceptable
par l'opinion publique de la rue et des camps palestiniens, dont Arafat
et les siens tiennent leur légitimité. Seuls quelques dizaines de milliers
de réfugiés retourneraient réellement en Israël. Les autres, la plupart
enfants de réfugiés, préféreraient sûrement s'installer dans le nouvel
état palestinien, si un plan de réimplantation soutenu par un fonds international
les y aidait."
Pressions commerciales
Pour mettre en oeuvre un plan de paix, la communauté internationale dispose
également des moyens de pression nécessaires. "Les palestiniens se sont
toujours dits favorables à une intervention internationale et, vu leur
situation, un simple arrêt de l'aide extérieure suffirait à les faire
plier en cas d'un éventuel refus. Pour ce qui est d'Israël, l'Union européenne
est le premier partenaire commercial d'Israël et assure 50 % des importations
de l'état hébreu et 30 % de ses exportations. L'accord commercial que
nous avons signé pour encourager les négociations de paix menées en 2000
prévoit même des modalités de rupture en cas de violation des droits de
l'Homme...", explique Henri Bertholet, qui s'est rendu dans les territoires
autonomes palestiniens en tant que rapporteur du processus de ratification
de cet accord par la France. Ceci, sans compter l'éventuelle pression
militaire qu'une communauté internationale motivée pourrait faire peser
sur les belligérants.
Rambouillet bis ?
Si la recette de la paix semble être connue, les politiques se renvoient
pourtant la balle, au prétexte que la France ne peut agir seule. "La recette
est toujours la même. Il n'y a qu'une chose à faire, avoir les Etats-Unis,
l'Europe, la Russie, les Nations unies et les deux parties en conflit
assises autour d'une même table", a ainsi déclaré hier Romano Prodi, président
de la Commission européenne. Jugeant que "les médiations unilatérales
ne pesaient plus d'aucun poids aujourd'hui", l'italien s'est tout de même
montré déterminé à trouver une solution de paix. Comme elle sait si bien
le faire pour les questions économiques, la France devrait donc convaincre
ses partenaires européens, qui se disent pourtant convaincus d'avance.
"La France devrait proposer clairement devant l'opinion mondiale une conférence
internationale pour ouvrir des négociations entre les belligérants, comme
elle l'a fait à Rambouillet pour l'intervention en ex-Yougoslavie. Il
serait alors assez difficile aux autres partenaires européens de refuser
et, vu l'impasse actuelle, le gouvernement Sharon serait aussi dans une
position délicate vis-à-vis de son opinion publique.", résume Henri Bertholet.
Faible espoir
Autre obstacle, de taille, à une initiative internationale : les Etats-Unis.
Ils soutiennent en effet historiquement l'état d'Israël et George W. Bush,
en voulant rompre avec les initiatives de paix de son prédécesseur démocrate
Bill Clinton, n'a fait que renforcer ce lien. Et pourtant. Le gouvernement
américain, après avoir choqué la semaine dernière en montrant un soutien
sans faille à la politique d'Ariel Sharon, est revenu sur ses déclarations
ce week-end, en les tempérant. Mieux, les Etats-Unis, qui ne voient plus
le monde que par le prisme de la guerre contre le terrorisme, ont récemment
accepté, à la surprise générale, de ratifier des résolutions du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Ratifiée à l'unanimité le 13 mars, la résolution
1397 est considérée comme historique car elle affirme la vision d'une
région dans laquelle "deux Etats, Israël et Palestine, vivent côte à côte".
Depuis, les Etats-Unis ont poussé plus loin, en votant samedi 30 mars
une autre résolution, demandant cete fois le retrait des troupes israéliennes
de Ramallah. S'il serait hasardeux d'y voir une remise en cause du lien
américano-israélien, le revirement des Etats-Unis donne tout de même une
base juridique forte à un processus de paix, le Conseil de sécurité étant
le seul corps de l'ONU à disposer de moyens de sanctions pour faire appliquer
ses décisions.
Agir maintenant
Alors que le conflit semble franchir toutes les limites de l'horreur sur
le terrain, pourquoi les champions de la politique française ne montent-ils
donc pas, eux aussi, en puissance ? Pour expliquer la constance dans l'indignation
et l'inaction, Henri Bertholet a aussi sa petite idée : "A trois semaines
de la présidentielle, Chirac et Jospin sont obsédés par la volonté de
faire un sans-faute, de ne pas commettre de bévue. Le contexte n'est donc
pas vraiment propice à la prise d'initiatives politiques...". Respectivement
président et premier ministre, Chirac et Jospin portent aussi la responsabilité
conjointe de la politique française au Moyen-Orient, au moins pour les
cinq dernières années. Ils la mènent d'ailleurs de concert, selon un loi
non-écrite qui veut que les deux têtes de l'exécutif parlent d'une seule
voix en matière de relations étrangères. "Ce n'est pas facile, il faudrait
que les deux candidats fassent taire les préoccupations tactiques." ironise
encore le député socialiste, qui se veut plus volontariste que son candidat.
Comment ne pas alors se décourager ? Pour Henri Bertholet, seul un sursaut
de l'opinion publique peut pallier à la frilosité coupable des présidentiables
: "Les Français ne comprennent plus qu'on ne fasse pas plus. On peut espérer
que, comme dans le cas de l'action menée en ex-Yougoslavie, on va finir
par bouger parce que l'opinion publique ne supporte plus la situation."
Henri Bertholet croit que le risque rédhibitoire d'une action audacieuse
pourrait alors peut-être se transformer en bénéfice politique, aux yeux
des candidats : "Les candidats ont peut-être plus à perdre à ne rien faire.
S'il y a, comme on peut le craindre, des milliers de morts civils dans
les semaines à venir, les Français pourraient ne pas pardonner leur inaction..."
Pour agir, les candidats seraient donc tentés d'attendre que le pire se
produise... Et le pire ne peut-il pas toujours empirer ?
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