Qui veut "sortir du nucléaire" ? par Xavier Molenat - publié le 28/03/02 - Réagir
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Le réseau Sortir du nucléaire a adressé un questionnaire aux présidentiables et leur a décerné des labels "pro" et "anti-nucléaire" : 6 contre 3. Analyse.
"Certifié pro-nucléaire" : c'est le label qu'a remis "Sortir
du nucléaire" à six candidats à la présidence de la République. Regroupant
613 associations engagées pour l'arrêt du nucléaire en France, ce réseau
a adressé un questionnaire aux 15 principaux candidats, leur demandant
leur opinion sur quatre points concrets : le basculement des crédits de
recherche et d'investissement du nucléaire au profit des alternatives
énergétiques, l'arrêt d'une première centrale nucléaire, l'arrêt du retraitement
des déchets nucléaires à l'usine de La Hague (Manche) et, enfin, l'arrêt
du centre d'enfouissement de déchets radioactifs de Bure, dans la Meuse.
Résultat : François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Chirac, Robert
Hue, Lionel Jospin et Alain Madelin sont les six candidats "certifiés
pro-nucléaires". Seuls trois candidats (Olivier Besancenot, Noël Mamère
et Antoine Waechter) obtiennent un satisfecit et sont labellisés "Sortir
du nucléaire".
Label vert
Pour Sortir du nucléaire, cette "remise de prix" n'est que le premier
acte d'une campagne visant à faire émerger le nucléaire comme thème crucial
de la campagne. A venir : la diffusion d'un "document grand public, tiré
à 220 000 exemplaires, qui invite les citoyens à écrire aux candidats
pour leur demander leur position sur le nucléaire", précise Philippe Brousse,
porte-parole du réseau. Egalement prévu : le collage "d'autocollants géants,
portant le logo nucléaire avec la mention 'certifié pro-nucléaire'" sur
les affiches électorales des six candidats honnis.
Pensée unique ?
Il est vrai que la politique énergétique de la France n'est pas apparue
comme un thème majeur de la campagne, bien qu'à peu près tous les candidats
aient un avis sur la question. Le problème vient sans doute du fait qu'ils
ont tous à peu près le même : à part Noël Mamère et Antoine Waechter qui
militent pour une sortie franche du nucléaire, aucun candidat n'affirme
la volonté de bouger significativement sur la question.
Exception française
A ce titre, la France est une double exception. Tout d'abord, elle est
le pays le plus "nucléarisé au monde", puisque près des trois-quarts de
son énergie sont produits par les fameuses centrales : record battu. La
Belgique, second dans ce classement, se traîne péniblement à un peu plus
de 50 %. Seconde exception : ce relatif consensus politique pour maintenir
l'important secteur nucléaire en l'état. En effet, la mode actuelle en
Europe est plutôt à l'abandon de cette filière. Le Royaume-Uni y a à peu
près renoncé depuis 1981, l'Italie définitivement depuis un référendum
en 1987. Plus récemment, la Belgique elle-même s'est engagée sur la voie
de la dénucléarisation.
Auto-suffisant
Dès lors, que justifie un tel status quo ? Si l'on consulte les programmes,
un des arguments les plus souvents invoqués est "l'indépendance énergétique
de la France" : dans un secteur sensible comme celui-ci, il serait important
de ne pas dépendre de l'étranger. En effet, grâce à ses centrales nucléaires,
la France est en situation d'auto-suffisance, voire d'excédent énergétique.
Si bien qu'EDF revend une partie de sa production à l'étranger. La remise
en cause du nucléaire porterait donc atteinte à ce principe et à de précieux
bénéfices qui permettent d'équilibrer la balance du commerce extérieur...
Energie "propre"
Autre argument : le nucléaire est une énergie "propre", c'est-à-dire que
contrairement aux autres filières de production classiques (gaz, charbon,
fioul), elle ne dégage pas de dioxyde de carbone, dit gaz à "effet de
serre". Or, la France, comme 38 autres pays, s'est engagée en 1997, par
le fameux protocole de Kyoto, à ne pas augmenter sa production de gaz
à effet de serre. Difficile dans ses conditions de développer de nouvelles
filières énergétiques... Les candidats n'oublient certes pas, pour rassurer
tout le monde, de promettre "d'améliorer les crédits de recherche sur
les nouvelles énergies", de "faire des efforts sur les économies d'énergie"
et de "réfléchir à la question de l'enfouissement des déchets" (un choix
définitif sur la question doit être fait en 2006)...
Un certain décalage
Pour Philippe Brousse, ces "efforts" des candidats sont "de la poudre
aux yeux" : "En France, les candidats n'expriment aucun désir de sortie
du nucléaire. 90 % des crédits sont attribués à la recherche nucléaire,
et cela ne va pas changer". Pourtant, les Français sont selon lui mûrs
pour le changement. Mais c'est la classe politique qui coince : "Les positions
des candidats n'ont pas révélé de surprises. Les prises de position des
"pro-nucléaires" relèvent d'une attitude passéiste. Aujourd'hui, les hommes
politiques sont, sur ce sujet, en décalage par rapport à l'opinion publique.
Dans cette dernière, l'opinion est à 50/50 sur la question de la sortie
du nucléaire. Dans la classe politique, on est à 80 % en faveur de la
continuation du nucléaire." Le problème majeur du nucléaire, c'est évidemment
la sécurité, puisque rien (ou pas grand-chose) ne peut garantir qu'une
centrale n'explosera pas sous la chute d'un avion, par exemple. "Même
l'Etat-Major français reconnaît que le territoire français, par la présence
même de centrales nucléaires, est indéfendable", renchérit Brousse. Autre
problème : l'enfouissement des déchets, dont les conséquences sur la population
et l'environnement restent mal connues.
Politique renouvelable ?
Pour Sortir du Nucléaire (auquel participent les Verts), la baisse de
popularité de l'atome en Europe montre que ce dernier "n’est pas une fatalité".
Et le réseau propose de se tourner vers un réel programme d'économie d'énergie
et vers les "énergies renouvelables" : vent, biomasse (bois), géothermie
(chaleur venant des profondeurs du sol), etc. La condition : que l'on
y consacre des budgets de recherche décents. Et surtout qu'émerge en France
une véritable volonté de penser à l'après-nucléaire. Pour l'instant, c'est
pas gagné.
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