Tuerie
de Nanterre : dérapages
par Alexandre
Piquard - publié le 27/03/02 - Réagir
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Face à la tragédie de Nanterre, tous les candidats ont
dû réagir. Et dans la valse des condoléances, certains ont cédé à la tentation
de la récupération. Les forcenés sécuritaires se révèlent dans la douleur.
On y a presque cru. Tôt ce matin, on avait vu Jacques
Chirac truster les caméras devant le conseil municipal de Nanterre, pour
délivrer un message de condoléances aux familles des victimes de la tuerie
de cette nuit. Un peu plus tard, on a lu les dépêches décrivant "la très
vive émotion" qui régnait au Conseil des ministres ce matin, où, en présence
de Lionel Jospin, le Président a tenu à "exprimer à nouveau toute notre
solidarité, celle de la Nation". On voyait là la réaction plutôt digne
d'un chef d'Etat face à ce qu'il appelait "un acte insensé, une folie
criminelle". Las ! Plus tard dans l'après-midi, Chirac a cédé à la tentation.
"C'est particulièrement choquant"
En déplacement électoral à Savigny-sur-Orge, il n'a pas hésité : "L'insécurité
est une préoccupation forte chez l'ensemble de nos concitoyens. L'insécurité,
ça va de l'insécurité ordinaire au drame que nous avons connu cette nuit
à Nanterre." Venu à nouveau en banlieue pour une réunion de travail sur
le thème de la violence à l'école, le candidat de droite a saisi l'opportunité
à pleines mains : "Cette insécurité, elle s'insinue un peu partout, elle
s'est insinuée aussi à l'école. C'est particulièrement choquant". A ceux
qui voulaient l'entendre, il a aussi rappelé que ''le racket, la drogue,
les agressions sexuelles sont de plus en plus nombreuses'', s'indignant
des ''quelque 700 000 incidents ou accidents par an dans le secondaire''.
Après cette belle sortie, Chirac a pris un bain de foule parmi les centaines
de supporters venus l'acclamer. Dans le soleil flottaient des drapeaux
"J'M Chirac".
"Comportements et propos violents"
En osant faire le parallèle entre l'acte d'un forcené fusillant aveuglément
des dizaines de personnes qu'il connaissait et le thème électoral de l'insécurité,
Jacques Chirac n'a pas dérapé. Il a choisi la récupération politique du
drame, la démagogie dans la douleur et la simplification indigne. Ce faisant,
il a rejoint d'autres politiques, qui avaient franchi la ligne rouge plus
tôt dans la journée. Corinne Lepage, candidate écologiste de droite, proche
de Chirac, avait déjà soutenu dans un communiqué que "même si la tuerie
de Nanterre" relevait "d'une explication psychiatrique", elle était "entièrement
liée au problème général de l'insécurité". Proche de Chirac, elle avait
explicité son délire coupable : "L'insécurité ne s'explique pas par la
malfaisance des délinquants et des fous, encore moins par leurs souffrances
alléguées. Elle est provoquée, autorisée, armée par la démission et la
complaisance de tous" face "au commerce licite et au trafic illicite des
armes de mort", "face au déferlement des images de tuerie dans des médias
qui se donnent l'alibi de l'information et de la culture", "face au problème
du contrôle, de la prévention, de la répression et de l'éducation civique"
et "face à des comportements et des propos violents qui sont aujourd'hui
la norme, y compris dans le débat politique". Ouf !
La faute à Ben Laden ?
Plus fort encore, Brice Lalonde a établi mercredi un parallèle entre le
fou de Nanterre et les terroristes du 11 septembre, appelant à ne pas
''sous-estimer'' les menaces en France. Aux limites de la science-fiction,
le candidat écologiste à l'élection présidentielle s'est sem : ''Ne sous-estimons-nous
pas dans notre propre société des gens qui se feraient recruter aux Balkans?
Est-ce que nous ne sous-estimons pas cette espèce de menace et sommes-nous
pas un peu angélistes; et nous dirons dans quelques années 'j'ai été naïf'?'',
a-t-il cru bon de prophétiser sur RTL, non sans un sous-entendu xénophobe
sur l'origine yougoslave du tueur. Plus tôt encore, Alain Madelin tenait
lui aussi une rhétorique édifiante : Le massacre de Nanterre, "c'est peut-être
en même temps un révélateur d'une situation de la société où aujourd'hui
la violence est dans les écoles, dans les mairies, bien sûr dans les rues,
et cette dérive à l'américaine, on souhaitait ne pas l'avoir en France''
Face à cette "dérive" pourtant née au pays du libéralisme économique,
le candidat Démocratie Libérale se voulait tout de même optimiste, appelant
à une sorte d'union sacrée des partis contre l'insécurité : "Ce n'est
peut-être pas la peine de faire semblant de se battre au fond sur des
propositions sur lesquelles nous sommes maintenant tous d'accord''.
"Chaos profond"
Après cet inquiétant aveu, on ne pouvait s'empêcher de relire la chronique
de Pierre Georges parue dans le Monde cet après-midi, intitulée "La dignité".
L'éditorialiste reprenait des propos choquants, tenus sur France 2 par
un candidat, à propos de la tuerie : "Nous sommes en train de basculer
dans un chaos profond. [Il faut souligner] le développement d'une violence
parfois totalement meurtrière et totalement folle, mais souvent quotidienne
hélas..." Cet autre alarmiste, qui se défendait aussi de toute "récupération
politique", n'était autre que Bruno Mégret. Le candidat d'extrême droite
fermait donc la marche des forcenés sécuritaires, qui feignent de croire
que tout est dans tout : la tuerie de Nanterre, les vols de portable,
les fameuses tournantes, l'attentat de Human Bomb, les crachats sur Chirac,
le massacre à la high school de Columbine, les Pokemon, la cavale de Guy
Georges, les graffitis, les actes pédophiles, la conduite sous cannabis,
les bombes corses, l'envahissement du terrain lors de France-Algérie,
les attaques-suicides contre les Twin Towers, le succès du dernier Scream,
l'explosion de l'usine AZF, les pirates sur Internet, la pisse en bas
de chez soi et l'entartage de Chevènement...
"Retenue et maîtrise"
Dans le grand amalgame des petites condoléances électoralistes, certains
avaient pourtant choisi de ne pas verser dans la surenchère. Après le
sobre message délivré cette nuit à Nanterre par Lionel Jospin, François
Hollande a choisi d'appeler la classe politique à la "retenue" et à la
"maîtrise" : ''On a affaire à un acte de folie extraordinaire (...) On
n'est jamais à l'abri de la folie, on n'est pas à l'abri d'un acte de
forcené'', a déclaré à la presse le premier secrétaire du PS. D'habitude
prompt à ne pas se laisser distancer par la droite dans le délire sécuritaire,
les socialistes ont donc choisi de ne pas récupérer l'inexplicable : ''Cette
histoire tragique, dramatique, terrible, est un élément de réflexion sur
le genre humain, pas un élément de campagne (...) Malheur à ceux qui en
feraient un argument de campagne électorale.'' a prophétisé Hollande.
Ce choix stratégique raisonnable se rapprochait de l'idée qu'on se faisait
d'une réaction décente. Sur place, les Communistes avaient eux choisi
de se réunir en hommage aux 4 élus qu'ils avaient perdu dans la nuit.
Au siège de la fédération du PC des Hauts-de Seine, ils avaient choisi
d'observer une minute de silence et de ne pas passer d'autre message que
celui de la condoléance. Robert Hue était présent, après avoir annulé
toutes ses activités de la journée en signe de deuil. On se prenait à
s'étonner de ce geste "insensé" : une pause dans la campagne...
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