Pourquoi
les marchés se foutent de la présidentielle
par Alexandre
Piquard - publié le 26/03/02 - Réagir
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Lequel des candidats a les faveurs de la bourse ? Qui
les décideurs veulent-ils pour gérer la France ? La réponse paraît simple...
Mais entre Chirac et Jospin, le coeur des analystes ne balance pas. On
nous aurait menti ?
C'est bien connu, patrons, économistes et actionnaires
préfèrent la droite à la gauche. Les marchés préfèreraient donc voir élire
Chirac, l'homme des cadeaux fiscaux aux entreprises, plutôt que Jospin,
l'ex-trotskyste aux funestes réflexes étatistes. A chaque présidentielle,
deux France s'affrontent : celle des riches entrepreneurs dans les vives
forces sont contenues dans l'orwellien carcan de l'état-dinosaure contre
les hordes de travailleurs et chômeurs qui demandent que la justice sociale
soit mise en oeuvre par un gouvernement redistributeur et protecteur.
C'est bien connu mais ce n'est plus plus vrai. Du moins si l'on en croit
les analystes économistes des plus grandes institutions financières. Que
disent les puissants experts, qui font et défont les tendances économiques,
du résultat de la présidentielle ? En substance : "On s'en fout !" Ah
bon ?
Election ? Quelle élection ?
"D'un point de vue économique, il n'y a pas de différence fondamentale
entre les programmes de Jacques Chirac et de Lionel Jospin", résume simplement
un économiste chez UBS Warburg, interrogé par Le Monde. "Nous considérons
que cette élection n'aura pas d'impact sur les marchés", renchérit dans
le même article le chef économiste de HSBC Asset Management. Allé fouiner
du côté de la bourse de Londres, le site Boursier.com n'a pas trouvé plus
d'intérêt pour le scrutin-roi des Froggies, dont certains avouent même
ne pas connaître la date : "C'est un sujet qui ne passionne personne ici,
parlez-nous plutôt de la Coupe du Monde de football" avance ainsi un des
brokers spécialisés dans les paris, qui donne tout de même Chirac gagnant
d'une courte longueur. Plus près de nous, le son de cloche reste le même
quand on interroge le Médef (Mouvement des entreprises de France). Pourtant
hautement politique, le syndicat des patrons fait la fine bouche et son
baron-président Ernest-Antoine Seillière affiche une grande réserve :
"Les entrepreneurs ont avant tout besoin d'un gouvernement qui gouverne,
qu'il soit de droite ou de gauche. Le Médef n'a pas vocation à faire des
pronostics ni à labelliser un candidat.", a-t-il déclaré lundi au Monde.
Mais où sont les différences politiques sur les grands dossiers ? Qui
se moque des privatisations, croissance du PIB, politique fiscale, taxation
des plus-values, réduction de l'impôt sur le revenu, emplois-jeunes et
autres sacro-saintes croisades contre le chômage sur lesquels les candidats
s'affrontent ?
Chirac "market-friendly"
A ce jour, seuls les célèbres analystes de Merril Lynch soulignent les
différences entre Chirac et Jospin. Dans un document de 8 pages publié
le 12 mars, ils comparent quelques choix affichés par les candidats, selon
leur impact positif ou négatif sur l'euro et la croissance, les taux d'intérêt
et les marchés financiers. A l'actif de Chirac : il est favorable à la
réforme des retraites et à la création de fonds de pension, il est plus
sécuritaire que Jospin, veut encourager les start-ups, prévoit un programme
massif de réduction des charges et serait prêt à modifier la loi sur les
35 heures, accusée de rigidifier le marché de l'emploi. A son passif,
un seul point : il est "sali par un scandale financier". Malgré les affaires,
Chirac a donc la faveur de Merril Lynch, au détriment de Jospin, dont
le rapport ne craint pas qu'il musèle les marchés mais qu'il ne mène pas
les réformes libérales qu'il juge nécessaires : il n'est pas coinvaincu
du besoin de baisser les charges, reste prudent sur les privatisations
partielles, est généralement opposé au principe des fonds de pension et
annonce le plein emploi pour 2010, mais par une législation "régulatrice"
de type loi sur les 35 heures. Sharda Dean, l'économiste spécialiste de
la zone euro qui a co-dirigé l'étude chez Merril Lynch, résume le message
: "Il y a une différence et nous trouvons Chirac plus 'market-friendly'.
La raison principale est le fait que Jospin est socialiste de tradition,
donc a priori moins enclin à pousser les réformes du marché du travail,
qui nous paraissent les plus urgentes. Pour ce qui est des privatisations,
la différence n'est que marginale et nous ne pensons pas que l'élection
aura d'impact sur la croissance à court terme." Si les clivages économiques
entre la droite et la gauche semblent très faibles, ce n'est pourtant
pas une exception française. "Depuis une vingtaine d'années, un consensus
s'est construit dans les grands partis européens autour des grands principes
de gestion de l'économie libérale, comme la rigueur budgétaire ou la politique
monétaire forte", constate Sharda Dean depuis son bureau londonien.
Pas d'impact depuis... 1981
On l'aura compris, le temps des grandes sueurs froides le soir du scrutin
dans les salles de marché est bel et bien révolu : "Les élections ont
rarement d'impact sur les bourses. Le seul cas depuis 20 ans est l'arrivée
au pouvoir de Mitterrand en 1981. On avait perdu 20 % du jour au lendemain
mais on était revenu à la normale au bout de trois semaines. Il y avait
bien une angoisse métaphysique des marchés mais l'époque n'avait rien
à voir.", explique un économiste d'une grande banque française, qui ne
souhaite pas être cité. Aucun des grands dossiers économiques ne semblent
empêcher ce spécialiste des marchés d'actions européens de dormir : "Imaginer
un impact sur la croissance est purement politique. Chacun a son opinion
mais on ne sait de toute façon jamais ce qu'il se serait passé si
un autre gouvernement avait géré les affaires..." Les divergences de vue
sur les fonds de pension sont elles aussi jugées "mineures", de même que
l'impact de la baisse de l'impôt sur les sociétés que propose le RPR.
Quant aux privatisations, on a lu les rapports de la Cour des Comptes
qui prouvent que la gauche s'est montrée plus hardie que la droite sur
les 10 dernières années. Malgré tous les efforts de Chirac et Jospin,
doit-on comprendre que la France sera dans tous les cas gouvernée au centre
? "Il n'y a qu'à regarder les sondages. Madelin est très bas, donc l'aile
la plus libérale de la droite aura peu d'influence en cas de victoire.
Si le PS gagne, ils mettront Dominique Strauss-Kahn ou plutôt Fabius à
l'Economie, qui sont des libéraux. Il n'y aura donc pas de politique très
ancrée à gauche." résume sobrement le "stratégiste". .
Dormez tranquilles
Si le choix entre Chirac et Jospin est un "non-enjeu" pour tous les gourous
des marchés, l'élection n'a-t-elle pour autant pas le moindre impact sur
l'économie ? Pas si sûr. Pour notre analyste anonyme, la présidentielle,
ça fait du bien quand ça s'arrête : "Avoir enfin les élections derrière
soi peut libérer la classe politique et lui permettre de mener des réformes
plus ambitieuses. Une fois la chape de plomb de la campagne levée, on
aura probablement un effet positif sur les marchés d'actions, principalement
par le retrait de l'Etat de certaines valeurs, cotées ou non." Comprenez
que le marché attend que l'Etat revende de toute façon ses participations
dans certaines grandes entreprises, donnant ainsi au privé la possibilité
de racheter les titres ou de les acheter en cas d'introductions en bourse.
Parmi ces "valeurs d'espoir" : le Crédit Lyonnais, qui pourrait relancer
les mouvements de fusion-acquisition dans les secteur bancaire, France
Telecom, Renault, Air France, Dassault Systèmes, Thomson Multimedia ou
encore le dossier "très politique" d'EDF-GDF. N'en déplaise aux candidats,
le résultat de l'élection sera donc de toute façon une bonne nouvelle
pour les acteurs financiers. Pour tous les météorologistes de l'économie,
les pronostics de la croissance française sont meilleurs que ceux des
Etats-Unis ou de ses voisins européens : 1,6 % de hausse du PIB en 2002
et 3,5 % en 2003, selon Merril Lynch. En résumé, tout va bien. Si vous
êtes un marché...
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