Petits candidats : rien ne va plus !
par Xavier
Molenat - publié le 26/02/02 - Réagir
à cet article sur le forum
Pauvres, sous-médiatisés, ghettoïsés, les petits candidats ont la vie dure. Dans le sprint final pour obtenir les 500 signatures, certains commencent à en avoir gros sur la patate. Analyse.
Marc Jutier, Jean-Philippe Allenbach, Cyndi Lee, Pierre
Larrouturou... Ces noms vous disent quelque chose ? Si oui, chapeau. Sinon,
vous êtes comme l'immense majorité des Français. Pourtant, tous sont officiellement
candidats à l'élection présidentielle. Et tous aussi commencent à trouver
l'aventure sacrément dure : sans accès aux médias, sans moyens pour communiquer,
ils n'ont de plus aucune certitude d'obtenir les 500 signatures. Et dans
cette épreuve pour accéder au premier tour, même les plus connus comme
Jean-Marie Le Pen, Corinne Lepage ou encore Noël Mamère, n'en mènent pas
large. Mais que se passe-t-il ?
"Menaces, pressions, chantages"
Depuis plusieurs semaines, la grogne monte de toutes parts. Dans le Figaro du 20 Mars, Jean-Marie Le Pen annonce qu'il va poser un recours contre le Conseil Constitutionnel pour qu'il assure la "régularité des élections". Selon le président du Front National, des pressions sont exercées par Jacques Chirac et son équipe sur les maires susceptibles de lui accorder leur signature. Même son de cloche chez Corinne Lepage, qui dénonce ce jeudi des "menaces, pressions et chantages" subis par cinquante maires qui lui avait promis leur paraphe, afin de les faire changer d'avis. Visiblement, ça coince dans le "parrainage démocratique". Au départ pourtant, le système se voulait simple, avec un but clair : éviter les candidatures farfelues. Exiger le soutien de 500 élus locaux semblait être une garantie efficace de la bonne "tenue" du débat. Malheureusement, ce système semble aujourd'hui dévoyé, puisque rares sont les candidats, hormis Chirac et Jospin, qui peuvent se targuer d'avoir de manière sûre tous les soutiens nécessaires. Sachant qu'il reste jusqu'au 2 avril pour déposer les noms au Conseil Constitutionnel, les deux prochaines semaines risquent de se transformer en course à l'élu.
Haro sur les troisièmes hommes
Comment se fait-il que tant de candidats rencontrent tant de difficultés à recueillir les 500 sésames ? La piste de "pressions" émanant des QG comme dans le cas Le Pen, si elle faisait sourire, est prise de plus en plus au sérieux. En effet, il est relativement clair que l'absence du candidat du Front National favoriserait le candidat Chirac. Pour Eric Dupin, journaliste et politologue spécialiste des élections, "même s'il n'y a pas encore eu d'enquête précise, il est possible que le RPR ait fait pression. Ipsos a réalisé deux versions de ces dernières enquêtes sur les intentions de vote. Avec Le Pen présent au premier tour, Chirac réalise 23 % ; sans Le Pen, il fait 27,5 %. L'intérêt est assez clair : il creuserait l'écart avec Jospin. Le Pen est un candidat gênant pour Chirac". Dans le même registre, mais à gauche, le staff de campagne de Jean-Pierre Chevènement raconte un cas similaire : "Suite à notre courrier à tous les maires, nous avions reçu un très grand nombre de promesses dans les départements du territoire de Belfort et de la Dordogne. Les fédérations départementales du PS se sont empressées de rappeler à l'ordre ceux qui étaient dans leur orbite...", explique Patrick Quinqueton, le directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement. Même chez le troisième homme supposé, on reste prudent jusqu'au bout, car s'il peut compter sur 550 confirmations de promesses, seules un peu plus de 400 signatures sont pour l'instant arrivées à bon port.
Petits arrangements
Si les élus sont vulnérables aux pressions, c'est qu'ils sont le plus souvent maires et doivent donc entretenir de bonnes relations avec les conseils régionaux et généraux, qui financent leurs projets. Dans ce cadre, leur soutien à telle ou telle candidature n'est pas forcément bien vue. Blaise Hersent-Lechatreux en a eu l'expérience, qui sollicitait des maires pour sa candidature qui veut incarner le "vote blanc" : "Il n'y pas nécessairement de menaces réelles, mais parfois la rumeur est tellement forte que certains élus disent 'si je vous soutiens, j'ai peur que...'. D'autres nous disent 'je suis tout à fait d'accord avec vos idées, mais on a un projet intercommunal, on a besoin du Conseil général qui va participer, si jamais je donne mon soutien et que c'est publié au Conseil Constitutionnel, la subvention passe à l'as." Autre phénomène, pointé par plusieurs candidats et "observateurs" : le rejet de plus en plus fort de la classe politique parisienne par les élus locaux. Pierre Larrouturou, candidat du mouvement la Nouvelle Donne, note dans un de ses billets quotidiens que "le plus inquiétant est du côté des élus : nous qui les contactons face-à-face ou par téléphone, nous les trouvons nombreux à ne vouloir donner leur signature à personne. Comme s’ils n’attendaient rien de l’élection présidentielle". D'autres candidats se sont faits ainsi débouter de leur demande avant même d'avoir pu en exposer les motifs, simplement parce que l'élu avait décidé de ne soutenir personne.
Parrainage populaire ?
Critiqué comme jamais, le système des 500 signatures doit-il être maintenu ? Blaise Hersent-Lechatreux y est plutôt favorable, à quelques conditions : d'abord, que les élus soient informés par l'Etat des candidatures existantes avant l'ouverture de la campagne officielle. Deuxièmement, comme Corinne Lepage, il souhaiterait que le Conseil Constitutionnel ne publie pas les noms des maires ayant donné leur soutien, ce qui ôterait, grâce à l'anonymat, toute possibilité de pression. Eric Dupin, lui, suggérerait plutôt de remplacer les soutiens d'élus par un "système de parrainage populaire, où seraient admis à se présenter les candidats ayant reçu le soutien d'un nombre significatif de citoyens", garantie que le candidat représente un véritable courant d'opinion.
5 minutes de gloire
petits candidats se lancent tout de même dans la campagne parce qu'elle est avant tout un moyen unique de faire passer un message. Mais là encore, la route élyséenne est semée d'embûches, et s'exprimer dans les médias n'est pas chose aisée. En témoignent les deux mises en garde que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, chargé de faire respecter le pluralisme démocratique, a déjà adressées aux grandes chaînes de télé. Le 19 mars, le CSA soulignait ainsi que "la grande majorité des candidats déclarés n'ont à ce jour disposé que d'un temps de parole très réduit" et que "l'écart entre les temps d'antenne et de parole attribués à MM. Chirac et Jospin ainsi qu'à leurs soutiens, d'une part, et à l'ensemble des autres candidats déclarés et leurs soutiens, d'autre part, reste trop important". On ne saurait être plus clair : pour les "petits" candidats, c'est la dèche médiatique.
Tous pour un
Lassés de ce black-out, certains "petits" se sont d'ailleurs réunis en collectif, sous l'égide du Parti Blanc, afin de dénoncer la "sous-médiatisation des offres politiques réellement nouvelles". Pour Blaise Hersant-Lechatreux, "dans un processus démocratique, où les partis n'apparaissent que comme des soutiens, actuellement on voit qu'on fait une distinction entre les candidats soutenus ou non par un parti politique, ce qui est contraire à l'esprit initial de l'élection présidentielle. Cette élection est là aussi pour permettre l'émergence de nouvelles idées. Le problème se pose de savoir quel nouveau message on va pouvoir entendre". D'autres candidats ont réagi aux mises en garde du CSA. Pierre Larrouturou, qui a été débouté d'un référé déposé au Conseil d'Etat, a décidé de porter l'affaire devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme : "D'un simple point de vue démocratique, c'est insensé, il n'y a qu'en France que le système soit verrouillé comme ça".
Déficit de notoriété
Verrouillé, mais par qui et pourquoi ? Selon le politologue Eric Dupin, "le problème vient essentiellement de la télévision. Dans la presse écrite, vous trouvez des pages entières sur Arlette Laguiller ou Corinne Lepage. Mais à la télévision, ce n'est pas la même chose d'être invité au Journal de 20 heures que de participer à un débat sur France 3 tard dans la soirée, même si on ne peut pas imaginer une égalité absolue. Je pense que globalement les médias se rendent coupables d'une anticipation abusive du second tour, alors que l'opinion est toujours plus émiettée. Il y a là un décalage frappant". Au banc des accusés, on trouve aussi les instituts de sondages, qui "organiseraient", volontairement ou non, l'invisibilité des candidats les plus modestes en ne les intégrant pas dans leurs sondages. Gilles Corman, directeur d'étude au département politique de la SOFRES, se défend : "Ce sont les médias qui font parler qui ils veulent. Nous avons testé tous les petits candidats. C'est une illusion que de croire que ce sont les sondages qui les font exister. Leur déficit de notoriété est rédhibitoire. Lorsqu'un candidat est crédité dans nos études de 0,1 % d'intentions de vote, cela ne correspond à aucune réalité statistique. Pour être intéressant un sondage doit correspondre à la configuration de l'élection, or il n'y a aura que 10 ou 12 candidats maximum lors du premier tour".
Qui veut gagner des millions ?
Alors qu'il n'y a jamais eu autant de candidats, on voit se dessiner une "fracture électorale". Les gros candidats se payent le luxe d'empiler plusieurs milliers de signatures d'élus, quitte à en refiler quelques-unes à la dernière minute à un proche en difficulté, par exemple Noël Mamère à gauche. La puissance des partis paye donc, et parfois même au sens propre, car le nerf de la guerre des élections est bien aussi dans les finances. Les budgets de campagne sont bien sûr extrêmement déséquilibrés. Envoyer un courrier aux 38 000 maires, organiser des réunions avec les élus, mobiliser des troupes pour les relances téléphoniques, éditer brochures et affiches ou maintenir un site Internet, ça chiffre vite. Pour un parti, l'aide de l'Etat, proportionnelle aux résultats obtenus aux élections législatives, fournit assez pour vivre, démarcher et avancer des fonds. Les candidats individuels, eux, en sont le plus souvent de leur poche, ou s'endettent. comment comptent-ils s'en sortir ? En sse faisant rembourser par l'Etat, qui accorde jusqu'à 4,5 millions de francs à tous les candidats, et rembourse les frais de campagne sur justificatifs pour tous ceux qui passent la barre fatidique des 5 %. Mais encore faut-il obtenir les 500 signatures... Décidément, dur dur d'être petit.
|