Le blues
du parti blanc
par Paul
Delorne - publié le 06/03/02 - réagir
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Le Parti blanc propose d'incarner un vote qui n'est
toujours pas reconnu en France. Mais Blaise Hersent-Lechatreux, son président
et candidat, est en train d'apprendre qu'il n'est pas facile de créer
un anti-parti. Article et interview.
Les instituts de sondages sont unanimes : la présidentielle
ne passionne pas les Français. Loin s'en faut. A moins de deux mois du
scrutin traditionnellement le plus mobilisateur, tous constatent la "désaffection".
Et contrairement à ce que les analystes politiques croyaient, l'entrée
en campagne des deux poids lourds, Chirac et Jospin, n'a pas réveillé
l'intérêt des électeurs. On lit que deux Français sur trois ne s'intéressent
pas à la campagne et que seule une personne sur deux a choisi son candidat.
Mieux, 74 % de la population déclare ne pas voir de différences entre
les projets de Chirac et de Jospin. Pour Pierre Giacometti, directeur
général d'Ipsos, "le risque majeur est de réunir toutes les conditions
d'un record d'abstention pour un premier tour d'élection présidentielle".
Cette crise du politique qui n'en finit pas de s'étendre, si elle fait
le malheur des professionnels de l'élection, est en revanche du vrai pain
béni pour le Parti blanc. Créé il y a moins de deux ans, cet anti-parti
politique d'un genre nouveau présente pour la première fois un candidat
à la présidentielle : Blaise Hersent-Lechatreux, son président. Son programme
: faire réfléchir les Français sur le mode de scrutin et l'offre électorale
des partis politiques.
Vote translucide ?
En France, comment peut-on contester par le vote ? On s'abstient, on vote
blanc ou nul ou on donne sa voix à une force protestataire, en général
un parti extrémiste. Pour le Parti Blanc, le traitement actuel des votes
blancs pose un gros problème : seuls les suffrages "exprimés" sont pris
en compte dans les résultats, si bien que les électeurs qui se déplacent
à l'isoloir et votent blanc ou nul ne pèsent pas plus ceux qui s'abstiennent.
De plus, les résultats ne distinguent pas utilement les votes blancs et
les votes nuls. Derrière ces critiques existe un mouvement d'opinion qui
demande une forme de reconnaissance pour le vote blanc. Le 18 octobre
2000, le député Dominique Paillé a ainsi déposé une proposition de loi
tendant à "compléter le code électoral en vue de la reconnaissance du
vote blanc comme suffrage exprimé et instaurant le vote obligatoire pour
tous les électeurs". Enregistrée par l'Assemblée nationale, elle n'a pourtant
pas encore été examinée...
Plus blanc que blanc
Pour Blaise Hersent-Lechatreux, on serait aujourd'hui arrivé à un point
de rupture entre la citoyenneté et le civisme. Beaucoup d'électeurs souhaitent
participer à la vie de la cité, mais ne vont pas voter pour exprimer leur
mécontentement par rapport à une offre électorale dans laquelle ils ne
se reconnaissent pas. Plus de trente ans après les débats et les slogans
de mai 68 "Elections, pièges à cons", le Parti Blanc sent qu'il y a moyen
de proposer une nouvelle offre : "Plus que jamais, pour faire diminuer
l'abstention et les votes de contestation, et pour avoir une idée du paysage
politique réel de notre pays, le vote blanc doit être reconnu ! C'est
plus qu'une avancée, c'est une nécessité." Au-delà du slogan de campagne,
Blaise Hersent-Lechatreux et les 250 membres du parti blanc souhaitent
enfin incarner le vote blanc. La démarche est bien sûr un peu contradictoire,
les candidats "blancs" ayant bien spur eux aussi une famille, un métier,
voire des opinions. Pour Blaise, Hersent-Lechatreux, ingénieur de formation
et directeur commercial d'une société d'édition de logiciels, ce qui importe
est le fait que les candidats "blancs" ne sont pas des personnages publics.
Sans visibilité médiatique particulière, ils seraient en quelque sorte
des citoyens "non colorés". Au chapitre des reproches, le parti blanc
est aussi critiqué pour sa neutralité revendiquée mais relative, puisqu'il
fonde avant tout sa démarche sur le rejet des partis politiques institutionnalisés
qui accapareraient le pouvoir depuis trop longtemps sans satisfaire les
attentes des citoyens. C'est en somme ce que répondent les maires de France,
quand ils sont sollicités par les blancs pour occorder leur signature,
si précieuse pour les petits candidats. Face aux difficultés à réunir
les 500 signatures exigées pour valider sa candidature, Blaise Hersent-Lechatreux,
qui ne peut compter que sur quelques dizaines de bénévoles, semble aujourd'hui
prêt à jeter l'éponge pour cette campagne. Reconnaître ce demi-échec servirait
en fait surtout à préparer la bataille des élections législatives où les
candidatures ne sont pas filtrées de cette façon. Ce serait même une forme
de retour aux sources, puisque le chevalier blanc a été désigné candidat
de son parti suite à son bon score aux élections municipales à Caen :
en mars 2001, sa liste avait obtenu 8,08 % des suffrages exprimés avec
un slogan au libellé évocateur : "Bulletin Blanc Mais Reconnu". L'avenir
n'est peut-être donc pas si noir.
INTERVIEW
Blaise Hersent-Lechatreux, Parti blanc
"Elisons des hommes, pas des machines à élections."
Quelle
est la vocation et l'ambition du Parti blanc ?
Tant que
le vote blanc ne sera pas reconnu, le Parti blanc présentera des
candidats qui se substitueront à celui-ci, en répondant
à trois conditions : refuser le mandat en cas d'élection,
ne pas inciter par une propagande quelconque à voter blanc, ne
pas se positionner politiquement ou présenter une idée ou,
pire, un programme. L'ambition du parti blanc est ainsi d'enrayer la mécanique
bien huilée de l'aristocratie des partis, qui se croit invulnérable,
et rendre la démocratie aux citoyens en leur permettant d'exprimer
par les urnes leur mécontentement.
Comment
expliquez vous la désaffection des citoyens pour l'élection
présidentielle, historiquement très mobilisatrice ?
Les électeurs
sont de plus en plus conscients du blocage du système politique
par quelques-uns. Ces personnes sont en place depuis 20 à 30 ans.
Comment exercer dans ces conditions son pouvoir démocratique de
destitution ? Voyant l'inefficacité du vote nul, ils vont s'abstenir
de façon plus importante.
Quels
sont les moyens pour exprimer une contestation ou un désintérêt
pour la vie politique ?
Actuellement
ces moyens sont dilués, ce qui fait le jeu bien évidemment
des personnes en place. On conteste en votant blanc (annulé), en
votant nul, en choisissant un candidat reconnu comme contestataire (extrêmes),
un candidat dont on sait qu'il n'obtiendra que de petits suffrages, en
s'abstenant, ou en ne s'inscrivant pas sur les listes électorales.
C'est au total plus de la moitié des français susceptibles
de s'exprimer qui contestent... dans la plus complète inattention.
Le droit
électoral vous parait-il satisfaisant dans son traitement de l'abstention,
du vote blanc et du vote nul ?
Certes non.
L'abstention doit exister, elle signifie le rejet du jeu démocratique,
l'attente d'autres règles. Le nul aussi doit exister, car il faut
annuler les bulletins comprenant une marque distinctive et ceux dont on
n'est pas sûr de comprendre la volonté de l'électeur.
Il y a après tout de réelles erreurs, des bulletins qui
se collent...). Le vote blanc, par contre, doit réintégrer
la catégorie des suffrages exprimés, puisqu'il en est un.
Plus que cela, doivent être intégrées à la
loi un certain nombre de mesures d'ajournement d'élections voire
d'impossibilité pour certains candidats désavoués
de se représenter.
Si une
élection ne suffit plus à légitimer le candidat élu,
est-ce seulement un problème de comptabilisation du vote blanc
? La réflexion sur le fonctionnement de la vie démocratique
ne doit-elle pas être plus large ?
En effet,
il faut analyser tout ce qui fait le blocage de la démocratie,
opérer une réelle rupture avec le monopole des partis sur
la vie publique. Ce sont les partis qui excèdent les citoyens.
Dans les petites communes, non "politisées", la participation
est très souvent de 90 %.
Le développement
d'Internet permet-il d'envisager de nouvelles formes de consultations
électorales où le vote blanc pourrait mieux s'exprimer ?
Tous les
moyens modernes (machines à voter, internet...) intégrent
nécessairement une possibilité pour l'électeur de
voter blanc, à moins d'offrir moins de possibilités que
le vote manuel. Le vote par Internet pourrait simplifier considérablement
les procédures et le dépouillement, mais la coexistence
des 2 systèmes est dangereuse en créant la possibilité
pour l'électeur de voter deux fois, par informatique et traditionnellement.
De plus, il soulève des problèmes juridiques de contrôle,
de possibilité de recours, de fraude, ou de suspicion de fraude...
Quel alternatives
y a-t-il au système des "élections démocratiques
et républicaines" tel que nous le connaissons ?
Les élections
sont un bon système s'il n'est pas détourné au profit
de quelques-uns, notamment par le biais des financements publics et des
remboursements de campagne. Certains proposent d'autres systèmes
démocratiques que l'élection, comme par exemple le tirage
au sort. Je préfère une rupture avec l'aristocratie des
partis qui remette l'homme au centre de la politique. N'élisons
que des hommes, comme le prévoit la loi, et non des machines à
être élues issues de partis qui s'autoentretiennent.
Comment
êtes-vous devenu candidat du Parti blanc ?
Je suis un
des fondateurs du parti, celui qui y consacre le plus de temps personnel,
et j'ai réalisé un bon score à Caen (8 %) en tant
que tête d'une liste de 55 candidats. C'est tout naturellement que
les instances concernées du parti blanc m'ont donc invité
à être leur candidat à l'élection présidentielle.
Que ferait
le Parti Blanc en cas de score électoral important ?
Tout dépend
de l'importance de ce score : à plus de 10 %, nous interpellerions
les candidats pour connaître leurs positions sur la réforme
de notre démocratie, et la réelle utilité des partis
politiques pour la République. En cas de possibilité de
présence au second tour, nous attendrions le dernier moment pour
nous désister, ce qui permettrait à la France de réfléchir
pendant au moins 3 jours sur sa démocratie. Une fois tous les 50
ans, c'est peut-être utile ! En cas de victoire au premier tour,
nous réfléchirions à la possibilité de convoquer
des Etats Généraux et de penser à une nouvelle République
dans laquelle la place des partis politiques serait redéfinie de
manière beaucoup plus précise.
Les dirigeants
du Parti Blanc ne sont pas "blancs", dans le sens où
ils ont une famille, un métier, des réseaux etc. N'y a-t-il
pas une contradiction ?
L'important
est que les candidats "blancs" le soient pour la population.
Certes ils ont des idées politiques, mais on ne les connaît
pas publiquement.
Avez-vous
déjà voté ? Pour qui ?
J'ai toujours
voté, souvent blanc. Et lorsque c'était possible, pour la
personne ou l'idée qui me semblait susceptible de correspondre
au mieux à l'intérêt général.
Vous avez
des difficultes à réunir les 500 signatures. Pour quelle
raison ? Pensez-vous les obtenir ? Remettez-vous en cause ce système
?
Les difficultés
sont internes au parti blanc car nous ne sommes qu'une quarantaine à
chercher, dont beaucoup en dilettante. Mais elles sont aussi externes,
car les maires ne veulent pas impliquer leur commune dans une action citoyenne
qu'ils jugent intéressante, mais trop contraire aux intérêts
des partis. C'est-à-dire qu'ils ont peur de se faire étiqueter
et de devoir dire adieu aux subventions de l'importante commune voisine,
du conseil général, du conseil régional... Il nous
semble difficile à l'heure actuelle de les obtenir. Il me semble
que le seuil de 100 signatures était suffisant pour écarter
les signatures "folkloriques". Ce qui est par contre certain,
c'est qu'il faudrait rendre la présentation de candidature discrète,
afin de surmonter les craintes évoquées plus haut et d'empêcher
les pressions.
Comment
se serait déroulée la campagne parfaite pour vous ?
Il aurait
fallu que les intellectuels et les journalistes comprennent que l'outil
que nous offrions aux Français permettait à cette contestation
de s'exprimer, de profiter de l'absence notable de projet politique pour
poser de véritables questions sur le fonctionnement de notre démocratie.
Que ferez-vous
apres les élections ?
Les élections... législatives, où nous allons présenter
un maximum de candidats. Tous les citoyens favorables à cette prise
en compte du vote blanc peuvent nous contacter pour devenir le candidat
"vote blanc" de leur circonscription. Plus de problème
de signatures, juste de financement...
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