Désobéissants
et ravers contre la dérive sécuritaire
par Xavier
Molenat - publié le 04/03/02 - réagir
à cet article sur le forum
Samedi 2 mars, 1000 manifestants clôturaient à Paris
le "Forum de la désobéissance sociale". Contre les lois sécuritaires,
les ravers avaient rejoint le mouvement. Et tous criaient leur déception
de la "grande" politique.
Pas besoin d'être nombreux pour etre motivés. Samedi 2
mars, un millier de "Désobéissants" ont défilé à Paris sur fond de techno,
de la place de la République à Stalingrad. Désobéissants ? Cette "manifestive"
était la street parade prévue pour clôturer le "Forum de l'Insoumission
et de la désobéissance sociale, contre la violence économique, sociale,
politique et policière". Pendant 10 jours, depuis le 22 février, un collectif
d'associations et d'ONG (Droit Au Logement, AC!, Act-Up, Droits Devant...),
de militants et de simples individus ont multiplié les actions pour protester
contre la "dérive sécuritaire" et la "criminalisation des précaires".
Une première.
Fourre-tout
Première cible des Désobéissants : les mesures "liberticides" de la Loi
sur la Sécurité Quotidienne (LSQ), adoptée par l'Assemblée Nationale le
31 Octobre dernier. Ce texte est en effet un curieux bric-à-brac de mesures
diverses, visant à la fois la répression de la délinquance et la lutte
contre le terrorisme à la suite des événements du 11 septembre. A côté
de mesures visant par exemple la régulation de la vente d'armes, sont
inscrits plusieurs articles dont on se demande ce qu'ils ont à voir avec
les objectifs annoncés : ainsi, l'article 50 prévoit la prison pour les
personnes ayant fraudé 10 fois en un an dans les transports en commun.
L'article 52, lui, affirme la possibilité pour les propriétaires de faire
appel à la police pour évacuer les "personnes qui entravent l'accès et
la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement
des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité
des lieux".
Ben Laden dans le métro ?
Pour les Désobéissants, les visées politiques de la loi sont claires :
"La LSQ était censée s'occuper de terrorisme. Or plusieurs mesures n'ont
rien à voir avec cela. Est-ce que Ben Laden prend le métro ? Est-ce qu'il
organise des réunions dans les halls d'immeuble ? On s'aperçoit que le
but est de réprimer toute action allant à l'encontre du gouvernement",
résume Ludovic Prieur, un des animateurs du Forum et de Samizdat.net,
qui a assuré la plateforme sur Internet. Au-delà de ces aspects "liberticides",
les "10 jours" visaient également à souligner l'aspect inégalitaire des
mesures comprises dans la LSQ, qui, par leur objet-même touchent de d'abord
les populations les plus démunies. "La première insécurité, c'est de ne
pas avoir de toit, pas de papier, pas de revenus. Tout va dans le sens
d'une criminalisation des précaires et des militants comme José Bové condamné
pour sa lutte contre les OGM. Dès lors nous sommes obligés de désobeir",
explique Ludovic Prieur, qui connaît bien les "centres sociaux"
italiens , ces squats artistiques et politiques, pionniers de la désobéissance
civile.
Un pour tous ...
Pendant 10 jours, les participants au Forum ont donc mené des actions
contre les intitutions responsables de la "criminalisation" : remise d'un
"Big Brother Award" à la RATP pour son système de vidéo-surveillance,
occupation d'une ANPE en protestation contre le PARE entré en vigueur en
juillet dernier, visite des locaux de l'Association Fournisseurs d'Accès
internet (AFA) pour protester contre la sauvegarde des traces des communications
électroniques pendant un an, occupation d'un hall d'immeuble vide en soutien
aux sans-toit... pour n'évoquer que les actions les plus spectaculaires.
Pour faire converger les luttes spécifiques d'associations parfois très
différentes, le mouvement avait choisi d'être délibérément
très éclaté. Les appels à la désobéissance n'étaient ainsi pas signés
par les organisations, afin d'éviter toute récupération. Selon le responsable
du site bugbrother.com contre la surveillance, également co-organisateur
des Big Brother Awards, le Forum rappelle la Zelig'Conf, qui avait fait
se rencontrer des tenants du logiciel libre et des activistes comme Act-Up.
Les deux parties, pourtant chacune confrontée aux problèmes de la brevetisation
dans son domaine, ne s'étaient jamais parlé. "De la même manière, on a
ici des mouvements qui se rassemblent sur une manière plus ou moins proche
de penser la politique, pour une action commune. Le but est de se rencontrer,
de se renforcer. C'est complètement informel, pas estampillé", explique
celui dont la dernière action, baptisée "renseignementsgeneraux.net",
proteste contre le fichage en exhortant les gens à demander leur propre
fiche auprès des différents services de renseignements officiels.
Apolitique ?
Dans la cortège des Désobéissants, la présence des défenseurs des free-parties
était aussi visible qu'inhabituelle. Samedi, c'était eux qui menaient
la manifestation, avec trois chars sonores qui rythmaient la marche :
les sound-systems des collectifs Totem, Elektroniktou, 9mm et Anthropofaz,
venus pour protester contre la partie anti-rave de la LSQ. En effet, "l'amendement
Vaillant" ou "Mariani/Vaillant" soumet les "rassemblements exclusivement
festifs à caractère musical" à déclaration préalable auprès du préfet
compétent. Autrement dit, les organisateurs de raves doivent obtenir l'agrément des autorités,
qu'ils jugent pourtant peu enclines à leur égard. Au menu, pour les
contrevenants : la confiscation du matériel et une amende de cinquième
classe. Assez pour provoquer un réveil chez les ravers, pourtant d'ordinaire
réputés pour une attitude "apolitique" souvent considérée comme un des
trois piliers du mouvement, avec l'absence de leaders et le caractère
non-commercial. Depuis mars 2001, date du dépôt du premier amendement
par le député RPR Thierry Mariani, le milieu techno tente de se mobiliser.
Les ravers ne revent plus
"Ca a été une vraie baffe pour tout le mouvement mais pas probablement
pas assez forte, explique Barouf, 24 ans, un des membres du collectif
Teknoniktou. Nous, on est venu manifester parce qu'on se sent solidaires
de toutes les populations visées par la LSQ mais on ne peut pas dire que
le mouvement a une opinion politique. Sur les forums, il y a eu beaucoup
de débats, autour des élections, de l'abstention ou du vote blanc, mais
c'est resté assez flou. ", regrette encore barouf, qui a défilé avec une
vingtaine d'autres membres de son collectif, venus de l'Essonne et des
Yvelines. En parallèle des manifestations dans les grandes villes, tout
au long de l'année, la mobilisation s'est prolongée sur le Web, où les
sites pro-free parties se sont multipliés, appelant tous à un réveil politique
de la communauté. Sur vener.land.free.fr, on trouve par exemple un bulletin
de vote tout prêt, qui proclame, laconique et désabusé : "Les raveurs
ne rêvent plus. Nique les politiques." Un autre flyer pour une manif à
Rennes dans le cadre du Frum de la Désobéissance interpelle : "Faut-il
qu'on vous promette une teuf pour que vous veniez manifester ?" Encourageante,
la prise de conscience politique des teufeurs tarderait à prendre de l'ampleur
: "On se félicite mais quand on voit qu'on est 2000 personnes pour la
moindre petite teuf le week-end, on est forcément déçus", ironise Barouf,
qui votera blanc lors du prochain scrutin..
Brûle ta carte d'électeur
Un seul point semble acquis : les lois de répression des free-parties
ont mis le Parti socialiste au coeur de la colère du mouvement. Pour les
teufeurs, le PS a mené les collectifs en bateau en retirant avant l'été
le fameux amendement Mariani, avant de le reprendre à son compte et de
le voter à la rentrée. A l'Assemblée nationale, les socialistes avaient
en effet approuvé seuls le texte final de la LSQ, les Verts ayant voté
contre pendant que les communistes s'abstenaient. Sur Internet, une image
représentant la rose socialiste barrée d'une croix a par exemple beaucoup
circulé. L'instigateur, 3boom.net, a bien mis en garde le gouvernement
: "Une chose est sûre : malgré les petits calculs du sinistre Vaillant
au sujet de nos capacités à voter, tous ceux et celles qui sont en mesure
de le faire se souviendront de tout ça très bientôt, aux prochaines élections.
Qu'il en soit convaincu ! TRES IMPORTANT : n'oubliez pas de vous inscrire
rapidement sur les listes électorales." L'idée n'était pas ici de créer
un sursaut civique mais, comme l'explique le site Le silence tue, de collecter
les photocopies de cartes d'électeurs(internautes-teufeurs pour les brûler,
en symbole de leur poids électoral, parti en fumée. Barouf explique le
découragement de certains dans le milieu : "Les socialistes se sont pris
une claque mais on voit que les autres ont tous un intérêt politique.
Noel Mamère est venu en teuf mais c'était surtout pour ramasser quelques
voix..." Comme Barouf qui n'ira voter "parce que sinon, c'est dur de raler
ensuite", les ravers et les désobéissants se méfient encore de la politique
classique et ont du mal à attendre quelque chose de l'élection présidentielle.
Ludovic Prieur, du Forum, confirme : "La campagne ça sert à rien. 90 %
des députés sont d'accord avec la LSQ, on n'a pas beaucoup d'espoir. On
ira les interpeller quand on aura créé un rapport de force favorable".
Chers candidats, à vous de jouer.
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