La joyeuse bande du chien
Saucisse
par Xavier
Molenat - publié le 01/03/02
Galvanisé par son succès aux municipales à Marseille,
Serge Scotto présente son chien, Saucisse, aux élections présidentielles.
Une galéjade artistique soutenue également à Paris par deux artistes "underground".
"C'est mon chien qui se présente mais c'est moi qui le
représente". Parents italiens, accent marseillais et train de vie modeste,
Serge Scotto a décidé de faire aboyer Saucisse une nouvelle fois. Son
entrée en politique, le cabot l'a faite l'année dernière, lors des élections
municipales à Marseille. Sans revendication politique ni prise de position
sur les grands thèmes de campagne, Saucisse se voulait simplement la "candidature
des amis des animaux". Mobilisant au cri de "Pour une Saucieté plus humaine,
contre une vie de chien", Saucisse avait rassemblé près de 4 % des "voix-voix".
Mieux que la liste du Rassemblement pour la France, le parti du dogue
Pasqua !
Apéricube pour Pitbull
"L'histoire de Saucisse, c'est un peu celle de Cendrillon", affirme Scotto.
Bâtard teckel de sexe masculin, Saucisse a en effet commencé sa vie comme
"apéricube pour Pitbull" : "Avant les combats entre Pitbulls, les maitres
leur filent un petit chien à bouffer pour les exciter. Saucisse a été
retrouvé dans une poubelle, laissé pour mort", explique Scotto. Son maître
actuel le ramassera à la SPA, où personne ne voulait de lui. Ses cicatrices,
sa petite gueule, son attitude font rapidement de Saucisse la coqueluche
des salons littéraires fréquentés par Scotto. Le maître à penser de Saucisse
est en effet un drôle de loustic. Artiste multi-fonctions, il se définit
parfois comme un "punk classique". Avant de devenir une des figures du
milieu marseillais du polar, Scotto écrivait dans un style "cyberpunk
overlittéraire", comme se le rappelle Francois Thomazeau, son éditeur
de l'Ecailler du Sud. Entre ses livres, Scotto s'est aussi mis à la peinture,
et expose à l' Abbaye de Thélème, un salon de thé de la rue des Trois
Mages, quartier général du "Cercle des Amis du Chien Saucisse". Pour imaginer
une fumisterie aussi sublime que la première candidature d'un animal à
la présidence, Scotto avait sûrement des antécédents. Son début de carrière
avait au moins prouvé une certaine radicalité : ayant renoncé à un poste
d'instituteur, Scotto a fait un passage de bédéiste dans le magazine Fluide
Glacial, où il officiait sous le fin pseudonyme de "Skato". Et ses bandes
au vitriol n'étaient visiblement pas du goût de tous, encore moins des
gentils annonceurs. Si on doutait de sa capacité de provoc', Scotto a
d'autres faits d'armes dans sa biographie, notamment comme batteur du
groupe culte Les Steaks, dans lequel il jouait vêtu d'une couche-culotte
géante et maculée douteusement... Scato, Scotto ? Quand on l'interroge
sur la propreté du candidat Saucisse, il bondit tout de même : "A fond
! 'Saucisse fait caca dans le caniveau. Saucisse lui tiendra ses promesses
et invite les autres candidats à en faire autant.', c'est ce qui était
écrit sur les affiches pour les municipales."
Le People Français
Pour porter la candidature de Saucisse, Scotto s'est entouré d'une sorte
"d'équipe de campagne", qui confirme l'ancrage artistique de la démarche.
A ses côtés, on retrouve en effet Frédéric Vignale, un autre artiste tout
aussi touche-à-tout que son collègue, qu'il a rencontré sur un plateau
télé. Saucissien convaincu, Vignale participe activement à la campagne
en faisant jouer son réseau en télé, radio et presse. Connu sur le Web
pour la réalisation du site wart-art, (un collage et un texte par jour
contre la guerre depuis le 11 septembre 2001, avec l'écrivaine Carole
Zalberg), Vignale fréquente également de près la hype parisienne. A son
actif, la réalisation des premiers sites d'une bonne part du gratin littéraire
branché : Frédéric Beigbeder, Frédéric Taddeï, Claire Nebout, Maïwenn
le Besco, Marc-Edouard Nabe... Avec Beigbeder parti phosphorer comme communiquant
officiel de la campagne de Robert Hue, on se demande si l'engagement politique
ne serait pas la dernière posture à la mode. Vignale récuse bien sûr et
clame qu'il ne pense l'art que "comme un combat politique" : "Le soutien
de Beidbeiger à Hue est crétin, pas sincère. C'est un coup médiatique.
Beidbeiger est victime de son succès et cherche à se forger une image
tendance, à contre-courant. En tant que vrai Houellebecquien, Beidbeiger
aurait dû soutenir Chevènement. Chevènement qui a frôlé la mort et qui
se la joue invincible est le seul candidat qui m'intéresse". En soutenant
Saucisse, Vignale serait lui plus fidèle à sa conception de l'art politique
: "L'art est fait pour emmerder, l'art est un acte militant", assène celui
qui reconnaît aisément son intérêt pour le people, la real tv ou encore
le "name dropping". Entre bouffonade, intellectualisme et politique, l'équipe
du chien Saucisse opère donc bien une synthèse. Bob Garcia, le dernier
compère de la bande, s'affirme ainsi en qualité de "pastichien". Roi de
la retouche graphique à vocation comique, il mélange lui aussi les genres.
Responsable, avec Vignale, d'un site contre Jean-Pascal de Star Academy,
il détourne en ce moment les affiches des candidats à la présidentielle
sur son site, dans un style gras et ludique : Boutin "Omo", Chirac "J'enlève
le bas", Pasqua "Police Milice Pastis". C'est le dessinateur officiel
du site de campagne de Saucisse.
Boudin blanc
Pour cette joyeuse bande, l'aventure Saucisse est un "happening, une oeuvre
artistique, du pur plaisir." Si Scotto tient à ce que son petit ne fasse
pas de propositions politiques, il explique aussi qu'il dépasse la simple
démarche esthétique. Lui-même a toujours voté, blanc, et revendique la
prise en compte de ces votes : "Je suis scandalisé par la façon dont le
vote blanc est évacué. Je trouve l'idée de Blaise Hersent Lechatreux,
du Parti Blanc, géniale mais nous sommes différents, car lui fait de la
politique." Si Scotto rentre dans le débat, c'est par la porte de derrière
: "Les gens qui nous gouvernent se foutent de notre gueule, il faut que
les citoyens se reprennent en charge." Comment ? En réformant le système
de parrainage des candidatures, par exemple : "C'est dommage qu'on ne
puisse pas avoir les 500 signatures car on aurait les voix. Est ce que
10 000 signatures de citoyens ne valent pas mieux que 500 signatures d'électeurs
?" Le père de Saucisse compte quand même mener sa barque présidentielle
à bon port, avec les moyens du bord. Et malgré le "boycott" des médias
qui, selon lui, ont commencé à se désintéresser de la candidature au moment-même
de ses premiers succès. "Pourtant il me semble que c'est de l'information
et que l'originalité de la candidature aurait pu être mis en avant. C'était
une première historique", regrette Scotto. Dans la presse locale marseillaise,
Saucisse est passé de sujet chaud à sujet grillé... Alors tant pis, le
candidat à quatre pattes communiquera autrement, de façon "ludique". Premier
happening communicationnel prévu : une cuvée des vignerons de Roquemaure
à l'effigie du teckel. Assez pour se poiler une fois de plus, à défaut
de faire un score canin.
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