La vraie-fausse
fille cachée des Chirac
par Caroline
Cordier - publié le 28/02/02 - réagir
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Comment Gala tente de nous vendre une Mazarine à la
sauce Chirac en montant de toutes pièces un demi-scoop. Une "belle histoire".
"La fille secrète des Chirac : elle parle pour la première
fois". La couverture de Gala se veut éloquente. Dans son numéro du 28
février, le magazine people joue la puissance de l'investigation. Devant
son kiosque, le quidam est bluffé et écarquille les yeux. Comment ? Le
Président a une progéniture cachée ? A défaut de le trouver assez vite
dans la salle d'attente de son dentiste, il achète sur le champ son petit
exemplaire. La photo de une réunit une jeune femme asiatique et Bernadette.
Le cliché s'efforce tout de même de couper court à la première rumeur
que le titre aurait pu provoquer : Jacques le sinophile aurait commis
quelque chinoiserie adultère lors de ses tribulations en Asie. L'honneur
est sauf : la Première dame de France est au courant.
Scoop de 1988
Sur la photo, une légende refroidit les ardeurs de la titraille puisqu'on
lit apprend que le cliché ne date pas d'hier. Il a été pris sur le plateau
de "L'heure de vérité" : Bernadette Chirac pose aux côtés de sa "fille
de coeur". Nous sommes en 1988. La fraîcheur du "scoop" en prend un coup.
Qu'importe, on poursuit : "Elle avait tout perdu, ils l'ont adoptée."
La jeune fille a été recueillie en 1979, à l'arrivée des boat-people.
Ceux qui ont dégainé leur porte-monnaie pensant découvrir une nouvelle
Mazarine en sont déjà pour leurs frais. Mais on imagine que les lecteurs
impatients se sont déjà précipités page 25 pour se mettre sous la dent
du croustillant, de l'exclusif, du secret d'alcôve bien gardé. Entre les
pubs, on cherche en vain l'interview de la "fille secrète". Las ! On trouve
un "dossier" de trois petites pages... dont deux de photos. L'article
est signé Raphäelle Bacqué, une journaliste émérite du Monde, spécialiste
des questions élyséennes, auteur d'un récent succès de librairie "Chirac
ou le démon du pouvoir". Mais qu'a-t-elle été faire dans cette galère
(dorée)?.
Pièce montée
"Je suis très mécontente de ce qu'ils ont fait, je n'étais pas du tout
au courant qu'ils comptaient en faire la une", nous explique Raphaëlle
Bacqué, interrogée par téléphone au Monde. "Ils m'avaient juste demandé
s'ils pouvaient reprendre des éléments de mon article du Monde et des
extraits de mon livre." Interrogé à son tour, Marc Fourny, rédacteur en
chef de Gala, feint l'étonnement et assure : "Non, c'est bien elle qui
nous a fourni l'article, à notre demande". L'imbroglio ne fait que s'épaissir
autour de l'abracadabrantesque nouvelle... Mais de quoi s'agit-il ? En
1979, Jacques Chirac est maire de Paris. Depuis deux ans, des milliers
de réfugiés fuient le nouveau régime vietnamien et, refoulés des pays
limitrophes, embarquent dans des radeaux de fortune : on les appelera
les boat-people. Le nouveau maire de Paris s'émeut de leur sort et organise
l'accueil d'une partie des réfugiés en France. Anh Dao a alors 18 ans
et fait partie des 150 premiers exilés qui atterrissent à Orly. Le couple
Chirac remarque cette jeune fille apeurée et esseulée, dont les parents
sont restés au Vietnam, emprisonnés dans un camp de redressement. Ils
lui proposent de l'aider et la prennent sous leur aile. Devient-elle pour
autant leur "troisième fille" après Laurence l'aînée et Claude, la chef
scout qui manage aujourd'hui l'image médiatique de son père ?
Pas vraiment adoptée
Anh Dao n'a en fait vécu que deux ans au côté de la famille Chirac, qui
lui apprend le français et guide ses débuts professionnels. Elle n'est
pas "adoptée" au sens légal du terme puisqu'elle n'est pas orpheline.
Par la suite, Jacques Chirac réussit à faire revenir ses parents : elle
s'affranchit dès lors du prestigieux parrainage. Ce sera le futur Président
qui officiera lors de son mariage civil avec un immigré vietnamien, à
l'Hôtel de ville. De l'âge de 21 ans à aujourd'hui 40 ans, elle n'aura
que d'épisodiques contacts avec sa famille d'accueil, la voit "de loin
en loin", comme lors des fêtes de Noël. Elle n'est jamais apparue sur
la scène publique. A Raphaëlle Bacqué, Anh Dao confie pourtant qu'elle
est "indissolublement liée" au couple élyséen. D'ailleurs, n'a-t-elle
pas appelé ses trois enfants Bernard (pour Bernadette), Jacques et Laurence,
du nom de la fille aînée des Chirac. Il a fallu attendre le 13 février
dernier, à l'occasion du nouvel an chinois, pour qu'elle se confie à la
presse. Ce jour-là, à l'Elysée, le chef de l'Etat reçoit les représentants
des 800 000 asiatiques de France. Anh Dao est présente et Raphaëlle Bacqué
recueille ses déclarations, qu'elle retranscrit dans un article publié
au milieu de la première page du Monde, le 14 février. L'information n'a
pas l'impact qu'un magazine comme Gala peut lui donner. Le 28 février,
Gala remanie donc le texte et concocte un titre fracassant.
Pas plus chiraquiens que communistes
En pleine campagne électorale, le faux scoop sur la vie privée de Chirac
semble plutôt servir le candidat-président, qui apparaît comme un homme
d'Etat au grand coeur et au silence modeste. Interrogé sur une éventuelle
intention "politique", le rédacteur en chef de Gala dément encore : "C'est
tout à l'honneur des Chirac de n'en avoir point parlé. Il ne faut pas
chercher malice dans le fait de sortir cet article maintenant. On est
les deuxièmes sur cette affaire. Nous ne sommes pas plus chiraquiens que
communistes. La semaine dernière, Robert Hue et sa femme étaient en photo,
et on prépare quelque chose sur Arlette. Si cela avait été la fille de
Jospin, on aurait fait pareil. Comme Anh Dao a parlé publiquement, on
a pu sortir l'info." Il se défend aussi d'avoir gonflé une "révélation"
connue de longue date dans le microcosme. "Si on avait été aux USA, ce
serait sorti en 1981. On en parle car 80 % des Français ne connaissaient
ni son nom, ni son visage", analyse Marc Fourny. Le coup est donc ailleurs.
"Ils n'avaient rien à se mettre sous la dent", estime, laconique, Raphaëlle
Bacqué. En interne, on confirme : "Ils se foutent bien de la politique,
ils ne regardent que les ventes. Le fonds de commerce de Voici, c'est
le people trash, Gala fait plutôt dans les belles histoires.", explique
un journaliste du magazine Capital, qui appartient comme Gala au groupe
Prisma Presse. Si les ventes s'avèraient bonnes, Gala serait peut-être capable de
nous faire un remake tout trouvé avec un autre "compte de fées" : "L'autre
fille secrète des Chirac : Laurence."
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