Un agro-paysan
en campagne
par Alexandre
Piquard - publié le 27/02/02
Pierre Rabhi est un petit candidat écologiste radical.
Contre le "mythe du progrès", cet agro-paysan des Cévennes appelle à "l'insurrection
des consciences". Portrait et interview.
"Agroécologiste sans frontières, écrivain et homme de paix"
C'est ainsi que les soutiens définissent Pierre Rabhi. Né en 1938, ce
candidat atypique clame en effet qu'il n'est pas un homme politique. En
décembre dernier, il raconte qu'il a hésité plus d'un mois avant de quitter
les Cévennes où il vit depuis 40 ans pour se présenter aux élections présidentielles.
Son programme : "l'Appel à l'insurrection des consciences", un texte initié
par Alain Lécuyer, un écologiste proche d'Alain Waechter. Publié le premier
novembre 2001, ce manifeste un peu fourre-tout plaide pour "l'émergence
d'une véritable candidature écologique, citoyenne et solidaire". Pour
combattre ce qu'ils appellent "l'autre face du progrès" ("Tchernobyl,
le prion de l'ESB, la dérive climatique, les manipulations génétiques..."),
les signataires de l'Appel, ont choisi Pierre Rabhi.
Mai 68 en 1957
Sa légitimité, Pierre Rabhi la tirerait de son parcours. Né d'un père
forgeron dans le sud de l'Algérie, celui qu'on a appelé le "Gandhi du
terroir" est fier de revendiquer sa "double culture". Son histoire est
celle d'une occidentalisation : "Je suis passé de la culture musulmane
à la culture chrétienne très rapidement, de la tradition à la modernité.
Je suis donc composé du Nord et du Sud.", dit-il dans son premier discours.
Venu en France, Rabhi a été ouvrier spécialisé dans la region parisienne.
C'est là que serait née sa conscience politique, par la découverte de
"l'aliénation" et le questionnement de la notion de "modernité" qui la
sous-tend. Devenu pourfendeur du "mythe du progrès", Rabhi ironise : "J'ai
en quelque sorte fait mon mai 68 en 1957..."
Horreur des villes, horreur des champs
Pour échapper à l'aliénation qu'il a connue à la ville, Rabhi prend le
maquis. En 1960, il s'installe dans une ferme au beau milieu des Cévennes,
avec sa femme Michèle. Las ! Rabhi retrouve avec horreur les démons qu'il
a fuis : le "productivisme" est en plein essor dans une agriculture de
pluis en plus industrialisée. Pugnace, Rabhi découvre alors l'agroécologie
et décide de l'appliquer à sa petite exploitation rocailleuse. Pour "l'agro-paysan",
il s'agirait de "concilier, à la fois, la nécessité de notre survie avec
des pratiques et un usage des biens communs de la terre respectueux de
l'environnement." Au fil du temps, le modèle prend et Rabhi part au Burkina
Faso enseigner ces principes à d'autres paysans au début des années 80.
Avec succès, puisqu'il finit va jusqu'à y créer le premier centre de formation
à l'agroécologie. Devenu "expert" des questions de développement agricole,
il participe ensuite à des programmes internationaux, notamment avec l'ONU.
Le conte de Rabhi s'enrichit ensuite de plusieurs livres : "Du Sahara
aux Cévennes ou la reconquête du songe", "L'offrande au créspuscule" ou
encore "Le Manifeste pour des oasis en tous lieux", qui a donné naissance
à un mouvement. Il participera ainsi à la création de plusieurs structures
entre l'ONG, la coopérative de paysans et le mouvement politique, dans
les années 90.
Schtroumpf vert et vert schtroumpf
En politique, Rabhi, qui se dit proche du mouvement anti mondialisation,
ferraille contre les "tendances suicidaires du système", citant pêle-mêle
"les famines de plus en plus nombreuses, la stérilité des sols, les sécheresses,
les désertifications, les pandémies, les fossé nord - sud devenant béant..."
Ses soutiens le verraient bien en héritier de René Dumont, premier candidat
"écologique" en France, en 1974. La présence de membres du Mouvement Ecologiste
Indépendant dans ses soutiens, n'est pas un afficiliation, assure Rabhi,
qui se dit bien sûr "indépendant" : "Ma candidature n'a rien à voir avec
le MEI.", se défend-il. Ce parti a en effet son propre candidat, le vert
déchu Antoine Waechter. Du côté des Verts, on regrette sa candidature,
pour le principe : "Ce genre de candidat groupusculaire ne sert pas à
grand chose, si ce n'est à afaiblir le pouvoir électoral des Verts en
fractionnant l'électorat. Waechter lui-même a du mal à réunir les 500
signatures. Tout ça ne fait pas vraiment avancer l'économie politique.",
déplore Anne Le Strat, secrétaire national, adjointe déléguée aux régions
des Verts. Les histoires de famille des écolos, Rabhi s'en passerait bien.
Il a d'ailleurs récemment choisi de renoncer à se dire candidat "écologique"
: J'appelle surtout à un éveil général, pour la survie de la nature."
Pour le tout-petit candidat qui dit en meeting "qu'il n'a pas d'ambition
politique", il n'y a qu'un constat : "Il y a quelque chose d'irréconciliable
entre le dogme économique de la croissance infinie et la limite physique
de la planète." Totalement radical, Rabhi prône donc la "décroissance
durable". A tous ses signataires, il demande de se mobiliser et chante
les louanges de l'action locale concrète, à petite échelle. Une manière
de redécouvrir un principe fondamental : "Small is beautiful".
Vous
identifiez la technoscience comme la source de beaucoup des maux de ce
monde. Qu'entendez-vous par ce terme ?
C'est l'alliance
de la technologie et de la science. La science découvre et la technologie
applique. C'est une façon de montrer la différence entre
la science fondamentale et la science appliquée, la technoscience
qui avance dans tous les domaines de la vie, jusque dans la génétique,
par exemple.
A vous
lire, on a l'impression que la technoscience est profondément liée
au fonctionnement du système capitaliste. La technoscience est-elle
la fille du capitalisme ?
La science
découvre, la technologie applique et l'économie valorise.
L'économie pourrait être éthique, aider la condition
humaine mais telle qu'on la voit dans le système capitaliste, elle
n'est pas vraiment au service de l'homme. Je remets simplement des choses
en quesiton et je fais un constat clair : le modèle actuel, fondé
sur la croissance illimitée, comporte beaucoup de périls.
L'accaparement et la concentration des ressources mènent l'Humanité
à sa finitude.
Les problèmes
que vous soulevez ne semblent pouvoir de trouver de solution que dans
un cadre international...
Tout à
fait. On ne connaît pas la logique Nord-Sud, uniquement la relation
Est-Ouest, qui a le pouvoir de globaliser et génère la mondialisation,
un système compétitif, antagoniste et guerrier.
Pensez-vous
que les solutions nécessitent moins d'intervention de l'Etat ou
plus, comme le propose par exemple l'assocation Attac, qui veut taxer
les transactions financières ?
Pour moi,
la question plus ou moins d'état n'est pas cruciale. Ce qu'il faut,
c'est un Etat assez conscient de sa responsabilité collective et
qui gère dans le respect de la nature. Le système a en quelque
sorte généré ses propres anomalies.
Vous parlez
d'un manque d'éthique, de spirituel et de religieux. Que doit-on
comprendre ?
J'ai renoncé
à utiliser le terme "religieux". Si on l'entend comme
proche de "relier" et qu'il évoque une sorte de lien
à la vie, ça me convient. Mais si c'est pour évoquer
les églises et les temples, ça ne m'intéresse pas
du tout. Je crois surtout à la notion de "sacré".
C'est une façon de reconnaître qu'il y a une dimension indicible
de la vie, qui nécessite que nous la respections profondément
car elle est significative d'un ordre universel qui nous a engendré
et dont nous sommes d'une certaine façon l'affinement le plus ultime.
Que reprochez-vous
au virtuel et à l'informatique ?
Rien de particulier.
Simplement, l'informatisation nous éloigne de la vie tangible et
nous offre donc moins de références pour organiser la vie
autrement que par le concept. Ces outils sont utiles mais au service de
quelle conscience humaine ? Si celle-ci est tordue, l'usage est négatif.
Et les technologies servent aussi bien les causes justes que les mauvaises.
Vous dites
incarner une "vraie candidature écologique, solidaire et citoyenne".
Y en a-t-il des fausses ?
Je préfère
en fait ne pas parler de candidature "écologique". J'appelle
surtout à un éveil général, pour la survie
de la nature. Pour ce qui est des Verts, je les remercie de tout ce qu'ils
peuvent faire mais je pense qu'aujourd'hui, il faut être beaucoup
plus radical. L'écologie n'est pas une petite chose que l'on rajoute
à d'autres éléments au sein de l'Etat. Ce sont des
principes fondamentaux.
Vous considérez-vous
comme un homme de gauche ?
Je n'ai jamais
été quoi que ce soit. J'imagine que la réponse est
oui si être de gauche c'est avoir une sensibilité qui pousse
à accorder plus d'attention au social. J'ai le sentiment de n'être
qu'un homme qui essaye de comprendre la vie. J'ai voté parce que
j'ai voulu accomplir mon devoir civique mais en général,
j'ai voté plutôt "contre" que "pour".
Vous sentez-vous
proche de ce qu'on appelle le mouvement contre la mondialisation libérale
?
Bien sûr.
C'est une protestation légitime contre une organisation devenue
trop tyrannique. Il faut avoir un rôle pédagogique et protestataire
et penser à agir aussi au niveau local pour montrer concrêtement
qu'autre chose est possible. Chaque citoyen doit comprendre sa responsabilité
car nous avons tous du pouvoir.
Quel conseil
donneriez-vous à quelqu'un qui voudrait "limiter sa consommation"
?
Chacun est
à même de voir ce qui est nécessaire et ce qui est
superflu. Nous avons tous une part de super flu mais si elle est trop
importante, on tombe en quelque sorte dans un piège, qui simule
ce contre quoi on veut lutter. Je suis navré de voir qu'il y a
de plus en plus de gens qui n'ont pas ce qui est nécessaire : être
nourri, logé, soigné... L'humain ne doit pas être
qu'un producteur-consommateur. Et pour cela, il ne faut pas que de l'assistance
mais redonner un vrai rôle à l'Homme pour qu'il retrouve
sa dignité.
Comment
a démarré votre campagne ? Etes-vous satisfait ?
Le déclencheur
a été Alain Lecuyer, du Mouvement Ecologiste Indépendant
(MEI, parti dont le candidat est Antoine Waechter, NDLR) qui a lancé
l'Appel pour l'insurrection des consciences et m'a demandé de porter
ce texte en me présentant aux présidentielles. Ma candidature
n'a pourtant rien à voir avec le MEI et les milliers de personnes
qui ont signé l'Appel viennent de tous bords. Nous avons aujourd'hui
un réseau qui est organisé en 90 comités, départementaux
et locaux. Ma campagne se passe bien puisque je vois que ma candidature
remue beaucoup de gens. Nous sommes engagés dans un processus de
citoyenneté participative et non délégative. Enfin,
la campagne présidentielle n'est pas pour nous une fin en soi mais
un début. Nous travaillons pour après les élections.
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