Seul Laumond(e)
par Yves Gellier - publié le 19/02/02
Chauffeur et porteur de valise du clan Chirac pendant 25 ans, Jean-Claude Laumond s'explique dans "25 ans avec lui". 5 ans après son éviction de l'Elysée, rencontre avec un déchu de la grande politique.
Jean-Claude Laumond a été abandonné par son ancien maître. Pendant 25 ans, il a été le chauffeur heureux de Jacques Chirac et sa famille, et n'y trouvait rien à redire. Mis sur une voie de garage en 1997, il s'est décidé à parler. Et il n'en finit aujourd'hui plus de raconter ses mémoires, parus en septembre dernier sous le titre "25 Ans avec lui". Mais qu'à-t-il donc à dire ? Les mains tremblantes, entre stress et surexcitation, Jean-Claude Laumond débite des phrases pêle-mêle, comme on suit une thérapie. Pour décrocher de "Jacques". "Pendant des années, j'ai été drogué au Chirac, drogue dure... Je rêvais Chirac, je mangeais Chirac.", confesse celui qui a toujours appelé le président "Le Grand".
Couronne mortuaire
Celle qui l'a fait descendre de son paradis artificiel, c'est Bernadette. Sa faute ? Ce "valet" a contrarié la reine-mère en allant chasser sur ses terres corréziennes. Plus précisément, il a eu l'idée, incongrue semble-t-il, d'épouser Armelle Bénassy, la fille d'un notable du cru. Pour la première dame de France, qui est membre du conseil général de Corrèze et maire-adjointe de Sarran, Laumond ne se marie que pour entrer en politique et peut-être lui piquer sa place au chaud. Laumond raconte ensuite que sa vie est d'un coup devenue un enfer. Symbole de sa déchéance, une couronne mortuaire, accompagnée d'une carte de visite de l'Elysée, reçue le jour de son mariage. Laumond décide alors de "claquer la porte" et demande, tout naturellement, à ce que Chirac le recase quelque part, dans le public ou dans le privé. On l'envoie en Nouvelle-Calédonie pour ce qu'il croit être une retraite dorée, avec un emploi pantouflard pour lui et sa jeune femme. "Mes amis m'ont dit "C'est loin, Nouméa et on y meurt facilement." mais ne savais pas ce qui m'attendait.", se rappelle Laumond. Sur place, il n'y a ni contrat de travail, ni billet-retour et, surtout, la femme de Laumond tombe gravement malade. Il a toutes les peines du monde à rentrer à Paris, où il est devenu indésirable. Après avoir menacé l'Elysée et la mairie de Paris de "péter les plombs", Laumond et sa femme rentrent à la capitale pour être réintégrés dans les services municipaux, grâce à l'intervention de Jean Tibéri. Des splendeurs de l'Elysée, l'ex-chauffeur se retrouve au Père Lachaise, dans un bureau situé sous une tombe. "C'était une forme de message...", ironise le valet déchu. La suite ne fait qu'empirer et Laumond tombe progressivement en dépression. Il rencontre Jean-Claude Gawsewitch, le directeur général des éditions Ramsay, qui semble décidé à l'aider et lui propose surtout de vider son sac dans un livre grand public.
Des centaines d'enveloppes
Le simple chauffeur, que les Chirac auraient bien aimé congédier d'un simple revers de la main, sort au grand jour à quelques mois de l'élection présidentielles. A l'été 2001, Laumond est entendu comme témoin dans l'affaire des marchés publics d'Ile-de-France par les juges Armand Riberolles, Marc Brisset-Foucault et Renaud van Ruymbeke, qui n'ont pas le droit d'interroger Chirac lui-même. "J'ai répondu à leurs questions pendant trois heures mais, comme je dis toujours, je sais ce que j'ai fait mais je ne sais pas ce qu'on m'a fait faire." Le chauffeur a pourtant fait le porte-valise pour Chirac pendant des années, notamment entre l'Elysée et l'agence de voyages de Neuilly mise en cause dans l'affaire des voyages payés en liquide par le président entre décembre 1992 et juillet 1995. "Des enveloppes, j'en ai transporté des centaines. Des petites, des grandes, des moyennnes, des plus ou moins dodues." Sans, il le jure, jamais savoir ce qu'il y avait dedans... Gênant Laumond ? Ou simplement paranoïaque ? Lui a assez peur pour demander aux juges d'instruction une protection policière pour lui et sa famille. Les magistrats lui répondent qu'il n'a rien à craindre.
Bon petit soldat
Laumond, lui, l'entend autrement. "Mon livre, c'est ma couverture pour certaines choses. Maintenant que c'est public, c'est plus dur de me détruire.", explique-t-il. A lire son livre, déjà vendu à 75 000 exemplaires, il n'a pourtant pas été témoin de scènes assez indiscrètes pour avoir "la mort aux trousses ". En effet, peu de révélations fracassantes dans son "auto" biographie. Que retient-on ? Laumond taille à Chirac une réputation d'amant insatiable, allant jusqu'à raconter que le personnel féminin de l'ancien siège du RPR l'avaient surnommé "3 minutes douche comprise". "25 Ans avec lui" est également une histoire de pouvoir, cette drogue politique qui a, selon Laumond, progressivement attiré une cour funeste autour de Chirac. Pour Laumond, la myriade d'éminences grises qui entoure le président l'a progressivement éloigné de la réalité. En dénonçant cette trahison des "vrais gens", Laumond ne raconte en fait que la sienne. Celle d'un bon petit soldat qui, après avoir connu les sommets, a du mal à accepter sa démobilisation. "Aujourd'hui, je ne suis pas dans l'avion du président mais je préfère boire une coupe de champagne avec ma femme.", tient-il à préciser. L'admiration pour Chirac est encore palpable chez l'employé modèle qui dit sans rire qu'il attend de voir les programmes pour décider de son vote. "Dans la politiques, les gens ne voient que les paillettes, pas le sacrifice. Je crois que je suis le dernier à m'être intoxiqué et dévoué à ce point.", finit Laumond. Si la chute est difficile, qu'il se rassure : cette soif des ors de la République touche sans distinction puissants et sans-grades. Il n'est pas incompatible d'avoir à la fois les dents longues et la "gorge sèche".
Interview de Jean-Claude Laumond
Avez-vous quand même de bons souvenirs de votre expérience de chauffeur ?
Ah oui... J'avais un bon niveau, même si je n'aurais pas pu conduire une Formule 1. Je m'amusais plus avec les autres que les autres ne s'amusaient avec moi. Par exemple, en 1974-76, je conduisais Bernadette et je prenais les virages un peu serrés. Parfois, le directeur de cabinet m'appelait pour me dire de me calmer. (rires) Pendant 25 ans, j'ai bien fait mon travail et été reconnu sur le plan professionnel. C'est ensuite que ça s'est gâté.
Qu'est-ce qui a pu provoquer votre renvoi en 1997 ?
C'est mon mariage! Madame Chirac a remplacé le Docteur Benassy, décédé, au poste de conseiller général du canton de Corrèze en 1979. Quand j'ai vu que la "grande châtelaine" se mettait à serrer des mains, à embrasser les gens, j'ai trouvé ça bizarre, mais bon... Elle avait alors dit à ma future femme, Armelle [Benassy, fille du Docteur Henri Benassy] que dans six ans ce serait à son tour. Mais ma femme et moi, on n'a jamais voulu faire de politique. Quand en 1997 j'ai annoncé mon mariage, ça a fait l'effet d'une bombe atomique à l'Elysée. Bernadette en a fait une obsession maladive et craignait pour son son mandat, renouvelable en mars 1998. J'ai trouvé ça incompréhensible.
Vous ne vous en êtes jamais entretenu avec elle ?
Non, jamais! C'est vrai que quand j'allais en Corrèze, je disais bonjour à tout le monde, j'étais connu partout. Quand Jacques Chirac serrait des mains, on lui demandait "Comment va Laumond ?" ! Mais de là à faire de la politique... Ce n'est pas parce que vous aimez la peinture que vous voulez devenir peintre ! On a créé un problème qui n'existait pas.
Et les affaires ?
J'ai bien porté des enveloppes mais je ne savais pas ce qu'il y avait dedans. Comme je le dis souvent, "Je sais ce que j'ai fait mais je ne sais pas ce qu'on m'a fait faire". Quand je suis allé chez les juges, pour l'affaire Méry, on m'a laissé tomber. On a sali mon nom et ma famille. Or le Docteur Benassy était un corrézien qui a servi les autres et qui ne s'est jamais servi. Quand le Président dit à la télévision "Je suis blessé qu'on attaque ma fille et ma femme", je peux comprendre mais je n'ai rien à me reprocher.
Vous écrivez dans votre livre : "A force d'entendre, sur la banquette arrière, de belles intelligences, j'avais moi-même progressé. A force d'écouter, j'ai appris à parler." Et à écrire ?
Aussi. Quand j'ai commencé à écrire, je me suis dit "Je vais leur montrer ce que j'ai appris. A leur tour d'apprendre!" A Nouméa, où on m'a envoyé, je pensais "S'il m'ont menti, s'ils ont essayé de m'avoir, je me battrai". Lorsque ma femme est tombée gravement malade, j'ai bataillé pour qu'on nous réintègre à Paris. J'ai prévenu que si je ramenais ma femme "dans une boîte", ça irait très mal. Ce livre, c'est un cri du coeur, pour tout ce qu'on m'a fait.
Comment s'est passé votre retour ?
J'avais un bureau au Père Lachaise ! J'étais chargé de mission pour évaluer l'état des vespasiennes dans les cimetières parisiens. C'est là que la déprime a commencé, j'ai même pensé au suicide. Puis, j'ai rencontré Jean-Claude Gawsewitch et Chantal Terroir, des éditions Ramsay, qui m'ont beaucoup aidé. J'ai écrit longuement et ma femme a mis en forme, en bon français. S'il m'arrivait quoi que ce soit, j'aurais laissé un témoignage. A mon éditeur, j'ai dit : "S'ils attaquent, on sort les B52." Aujourd'hui, je suis chargé d'études auprès de l'ingénieur général à la Propreté de Paris. La haine de départ m'a un peu quitté, je suis plus calme, plus détendu. Quand je vois les attentats du 11 septembre, je relativise.
C'est une première en France, un livre sur la vie privée d'un Président encore dans l'exercice de ses fonctions...
Moi, j'écris sur les gens quand ils sont vivants, pas quand ils sont morts. Et je vois bien que Madame Chirac a modifié sa réflexion sur son mari, dans son livre. (Dans le livre "Conversation" - Plon, 2001 - Bernadette Chirac confie à Patrick de Carolis au sujet du son couple: "Mon mari est toujours revenu au point fixe. De toute façon, je l'ai plusieurs fois mis en garde: "Le jour où Napoléon a abandonné Joséphine, il a tout perdu." La vie n'est pas un long fleuve tranquille."). Bernadette Chirac change d'avis quand il y va de son intêret : elle a tenté de faire annuler mon mariage mais David Douillet, qui a eu plusieurs femmes, elle l'adore. Je ne le juge pas, lui, mais les avis de Mme Chirac sur ce qui est bien ou mal sont un peu étonnant
Que pensez-vous des prochaines échéances électorales ?
Les gens changent. La société change mais l'Elysée ne le comprend pas. Les gens ne sont plus des beni-oui-oui. C'est la fin d'un système, la fin de Napoléon.
Si vous croisiez Jacques Chirac dans la rue, que lui diriez-vous ?
Monsieur, la haine est passée mais je n'oublie pas.
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