Madelin,
fils de pub
par Xavier
Molenat et Caroline
Cordier publié le 09/02/02
Le
22 janvier, le leader de Démocratie Libérale a lancé
sa campagne à grands renforts de réclame politique. Le produit,
lui, n'a pas changé : le libéralisme ultra.
Des pubs,
des pubs, encore des pubs
Sur l'écran du Grand Rex, le célèbre
cinéma parisien, les spots se succèdent pendant une heure
et demie devant les yeux des responsables des fédérations
Démocratie Libérale de province. La mise en scène,
censée "chauffer" la salle de 2 500 personnes, dure même
plus longtemps que l'allocution tant attendue du candidat Alain Madelin.
La parodie de réclame sur fond de musique techno passerait-elle
mieux que les envolées sur la réforme de la fiscalité
? Dans une confusion proche du lapsus, Jean-Marie Boursicot, le créateur
de la Nuit des publivores, explique que la soirée consacre pourtant
une "politique de communication" plus qu'elle n'abuse de la
"communication politique"..: Venu en soutien, il reconnaît
malicieusement "qu'au moment où le débat démocratique
a atteint ses limites, la publicité politique en France donnerait
un nouveau souffle aux campagnes." Les organisateurs du meeting de
lancement de campagne du président de Démocratie libérale
l'auront entendu et ouvrent le show sur un hymne à "Alain",
orchestré en plusieurs parties. Au programme : album-photo biographique,
illustration du programme madeliniste et "critique" des autres
candidats.
"Prêt
à avaler n'importe quoi ?"
Le show sur grand écran commence par une galerie de photos retraçant
la vie du leader libéral. Selon le roman de Madelin, le candidat,
après une enfance "populaire", s'est engagé sur
tous les fronts : "Madelin et Massoud", "Madelin et le
mur de Berlin", "Madelin au Cambodge", "Madelin au
Kosovo", "Madelin dans les banlieues"... S'ensuivent une
présentation du site internet du candidat et la diffusion d'un
numéro de téléphone payant. Le premier corpus de
réclames, essentiellement anglo-saxonnes, se révèle
être un mélange assez brouillon d'images illustrant la solidarité,
l'entreprise ou l'innovation... En bref, "la nouvelle France",
ainsi qu'elle a été sloganisée officiellement par
les communiquants de DL.
Dans un appel
du pied aux jeunes publivores, les madelinistes enchaînent les parodies
publicitaires plus ou moins potaches. Au slogan "Réfléchissez
avant de vous engager.", emprunté à un spot pour opérateur
de téléphonie mobile, les militants répondent en
chur : "Madelin Président". Dans la même
veine, les jeunes et modernes libéraux déterrent une vieille
campagne pour le sucre, passée sur les chaînes françaises
voici quelques années : "Etes-vous prêt à avaler
n'importe quoi ?" Dans la salle, on ne semble pas douter de la réponse...
Grosses
têtes
On découvre plus tard le produit vanté à grands renforts
de réclame politique post-moderne tendance Guignols : l'introduction
au libéralisme à la Madelin consiste en une critique de
toutes les sources de "blocage" en France : loi sur les 35 heures,
bureaucratie, insécurité, "faux-emplois socialistes",
grèves du service public
Viscéralement anti-étatique,
le discours est accompagné d'images montrant des pompiers sur répondeur
ou des professionnels abandonnant leur poste dès 15 heures. Proche
de l'ingratitude, le candidat qui a découvert la boxe universitaire
et le groupe d'extrême-droite Occident sur les bancs de la fac de
droit d'Assas, conclut un spot sur l'illettrisme par un laconique "Merci
l'Education nationale".
En bon pubards,
les communiquants de Madelin n'ont pas oublié le contre-argumentaire.
Les candidats concurrents sont donc tous raillés, à l'exception
notable de Jean-Marie Le Pen. Le fou-rire de Bill Clinton et Boris Eltsine
est ainsi légendé "Ils viennent de l'apprendre : Jacques
Chirac et Lionel Jospin sont candidats." Le champion écologiste
a lui droit à des images de bovins volants : "Mamère
candidat, les vaches sont au septième ciel." Ca vole haut.
Pour un Madelin qui avoue dans sa biographie avoir rejoint l'extrême-droite
par "anti-communisme", la pique lancée contre Robert
Hue est une évidence : "Marx se retourne dans sa tombe."
On nage en pleine culture djeune et c'est même la vraie marionnette
des Guignols qui illustre Jacques Chirac, s'ennuyant ferme pendant sa
présidence. La signature : "Le temps, c'est ce que vous en
faites." Pluraliste, le pot-pourri télévisuel s'achève
par la rediffusion d'une scène où l'on voit Lionel Jospin
acheter un pain de seigle le 1er janvier : "Comment voulez-vous faire
confiance à un homme qui est prêt à acheter son pain
plus de 44 francs ?", demande facilement Alain Madelin, en entame
de son discours tant attendu.
"A
la place de Chirac"
Pour conjurer sa stature de petit candidat, le leader libéral s'attaque
d'abord à Jospin et Chirac et fustige les "campagnes courtes
pour idées courtes". Et il a beau jeu de citer Chirac, qui
disait en 1988 : "Il est honnête pour un candidat de faire
connaître sa candidature cent jours avant l'échéance.
Réduire ce délai ne serait pas convenable." L'homme
de droite ne renvoie cependant pas les deux têtes de l'exécutif
dos à dos. S'il se proclame "candidat anti-jospin", il
explique aussi : "Je ne suis pas candidat contre Chirac. Je suis
candidat à la place de Chirac." Si la nuance est subtile,
le public, discipliné, applaudit le bon mot. Malgré les
sondages, Alain Madelin veut croire qu'il lui est possible d'accéder
au second tour et de récolter les quelque 6 millions de voix nécessaires,
"si chacun des électeurs qui ont déjà décidé
de voter Madelin arrivent à en convaincre deux autres." Selon
ces calculs savants, Madelin s'attribue donc 2 millions d'électeurs,
soit aux alentours de 7,5 % de l'électorat... Pas tout à
fait, Alain, pas tout à fait !
Côté
bilan, le candidat Madelin a choisi le scénario du libéral
de conviction qui se bat seul contre tous depuis des années. A
l'écouter, la libéralisation des télécommunications,
c'est lui, lors de son passage au Ministère de l'Industrie, où
il a également supprimé "5 directions et une demi-douzaine
d'organismes aussi budgetivores qu'inutiles". Surprise : les fonds
de pension c'est aussi Madelin. Lors de son passage au ministère
des PME, du Commerce et de l'Artisanat, il a instauré la formule
pour les professions indépendantes. En même temps qu'il simplifiait
la création d'entreprise et les règlements. Ce conte de
fées se conclut de façon héroïque, sur son départ
du Ministère de l'économie et des finances en 1995, après
que Juppé ait refusé la réforme fiscale dont Madelin
a fait sa marotte.
Entrepreneurs
de tous pays...
La réduction des impôts pesant sur les pauvres entrepreneurs
reste bien le thème central du message madeliniste. Le grand admirateur
des libéraux américains propose donc un "contrat avec
les Français", qui permettrait à chacun de se sentir
"libre, responsable et respecté". L'Etat se doit lui
d'être "sans complexes" et d'assurer une "même
loi pour tous", ainsi que la sacro sainte "sécurité".
Alain Madelin ne cache pas son cur de cible et veut être le
porte-parole des 14 millions de Français qui, selon un "sondage"
sans source, voudraient "entreprendre". Et pour tous les électeurs
qui rêvent de devenir Bill Gates, Madelin a pensé à
tout.
Intarissable
sur les baisses d'impôts, Madelin a trouvé un nom pour rebaptiser
les cadeaux faits aux entreprises : la "fiscalité de progrès".
Son programme prévoit par exemple la suppression de l'impôt
sur la succession pour les patrimoines professionnels, l'inclusion de
la CSG dans un l'impôt sur le revenu dont le taux maximum serait
ramené à 33 %, une TVA à taux réduite sur
les services à forte main-d'oeuvre ajoutée... Madelin propose
également d'insérer une part flexible dans les salaires,
de multiplier les systèmes d'intéressement des salariés
aux résultats, de "libérer" les horaires de travail
pour briser le "carcan" des 35 heures. Voilà un discours
"compétitif".
Deuxième
volet incontournable de la rhétorique Madelin, la réduction
de l'Etat au strict minimum vient conclure l'exposé. Dès
que possible, le leader DL promet de préférer "le contrat
à la loi". Madelin s'appuie ici sur l'article 34 de la Constitution,
qui stipule que la loi a le caractère de "règle générale".
Concrètement, on comprend que la logique privée doit être
étendue le plus largement possible : "autonomie accrue"
pour les administrations, les régions et les services publics,
"mise en concurrence" des écoles et des caisses de santé,
"intéressement" des fonctionnaires au résultat
de leur service, etc. Pour rassurer l'électeur que tant d'individualisme
effraierait, Madelin explique que moins d'Etat, c'est aussi plus de "société
civile". S'il vote Madelin, le citoyen pourra par exemple saisir
le Conseil Constitutionnel, voter lors de référendums locaux
d'initiative populaire ou participer aux "actions venues d'en bas"
que le héraut du libéralisme entend favoriser
fiscalement,
bien sûr.
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