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Clément Schouler, Syndicat de la magistrature
"Les politiques sacrifient les libertés à la sécurité."

par Xavier Molenat et Alexandre Brachet- publié le 09/02/02

Clément Schouler est membre du Syndicat de la magistrature (SM) et substitut du procureur de la République à Versailles. En décembre dernier, son livre "Vos Papiers ! Que faire face à la police ?" a provoqué un tollé chez les hommes politiques, qui rivalisent dans le discours sur la sécurité. Explications.

Qu'y a t il dans votre livre "Vos Papiers ! Que faire face à la police ?"

C'est un petit manuel, très modeste, qui a pour objectif de servir de guide juridique à ceux qui subissent des contrôles d'identité. Il explique le régime des contrôles d'identité, qui est très compliqué. Il s'adresse aux personnes qui subissent les contrôles d'identité mais également à ceux qui ont l'occasion de les pratiquer professionnellement, policiers ou magistrats. Car trop souvent, les contrôles d'identité sont pratiqués un peu à tort et à travers. Notamment parce qu'une des imperfections du droit, c'est que, lors d'un contrôle, le policier ou le gendarme n'est pas dans l'obligation d'informer le citoyen du cadre juridique dans lequel il se place : est-ce que vous êtes contrôlé parce qu'il y a une infraction qui vient d'être commise à côté de vous ? Ou alors parce que le policier a des réquisitions du Procureur de la République ? Et caetera.

Votre livre a été très mal accueilli dans les milieux des policiers et des juges...

Nous devons remercier un certain nombre d'organisations et de syndicats policiers, ainsi que deux ministres, pour avoir assuré à ce bouquin une publicité inesperée ! Cet ouvrage est paru dans l'indifférence la plus totale fin septembre 2001, avant les manifestations de policiers. Et ce qui n'est qu'un petit guide juridique a provoqué l'ire d'un certain nombre de policiers, en raison principalement de la couverture, réalisée librement par un caricaturiste (NDLR On y voit un policier agressif, au regard furieux, toutes dents dehors.). Elle nous paraît assez conforme à la manière dont les gens subissent et ressentent les contrôles d'identité. Nous en avons de nombreux témoignages ! Les syndicats de policiers ont donc annoncé qu'ils allaient déposer des plaintes. Des informations relayées par la presse ont fait état de dizaines voire de centaines de plaintes, déposées à la demande de syndicats policiers par des fonctionnaires de police auprès de plusieurs parquets de France. Je passe sur la manifestation organisée Place Vendôme par le Syndicat National des Officiers de Police, contre le livre, avec des masques de cochon, et en brandissant des abats de porc : oreilles, pieds, etc.

Quels étaient les reproches sur le contenu du livre ?

Suite à ces manifestations de policiers, des parlementaires ont interpellé le Garde des Sceaux et le Ministre de l'Intérieur sur le livre. Ils ont parlé, je crois, de "brûlot anti-flics" et de "pamphlet anti-police". Face à ces outrances de langage, on aurait pu penser que les ministres allaient rappeler un peu à l'ordre les parlementaires et les appeler à plus de raison face à ce qui n'est qu'un petit guide juridique. Nous avons eu deux ministres qui ont pris la parole : la Garde des Sceaux, qui a indiqué que ce bouquin était tout à fait mal venu, et le Ministre de l'Intérieur qui a dit que ce livre était scandaleux. Il a annoncé devant la représentation nationale qu'il déposerait plainte. Chose qu'il a faite, auprès du Procureur de la République de Paris, pour "injure et diffamation envers un corps constitué", l'injure étant la couverture et la diffamation une phrase de l'introduction, qui parle de "contrôle au faciès". Une enquête judiciaire préliminaire a été ouverte et confiée à un service de police parisien. Elle suit son cours, je ne sais pas quelles en seront les suites... Moi, je me demande quelles turpitudes cachent ce concert de protestations. Si effectivement, aujourd'hui, dans notre pays, on ne peut plus dire aux gens les droits dont ils disposent, il y a vraiment de quoi s'inquiéter sur notre démocratie ! Au-delà du problème de la liberté d'expression - le Syndicat de la magistrature a une longue tradition de caricature dans ses publications, que ce soient des magistrats ou des policiers. - on a l'impression qu'on est entrés dans une société où la police est en train de devenir une seconde image sainte. Aujourd'hui, il y a un intégrisme de la police et on ne peut plus librement caricaturer les policiers.

Que signifie pour vous la hausse de 7,7 % des chiffres de la délinquance en 2001, annoncée le 28 janvier par le Ministère de l'Intérieur ?

Il faut toujours prendre ces chiffres avec beaucoup de prudence. D'abord parce que ce sont des chiffres élaborés par le Ministère de l'Intérieur ! Ensuite, parce que ce sont des chiffres qui mélangent des choux et des carottes, c'est-à-dire des faits qui n'ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Par exemple, des tags sur un mur, c'est un délit. Un abus social portant sur des millions de francs, c'est un délit. Une voiture qui flambe, c'est un délit. Ce chiffre ne veut pas dire grand-chose, c'est un agrégat un peu large. Ensuite, cette hausse est certainement liée à un développement de la police de proximité, puisqu'il y a eu une reforme très profonde de la structure de la police. Les services de police judiciaire sont désormais éclatés dans des services de police urbaine de proximité. On a donc tout un tas de policiers sur le terrain qui ont pour mission de faire des procédures pénales. Et donc, forcément, plus on quadrille le territoire avec ces policiers, plus on a un développement des constatations de toutes petites affaires : petites dégradations, feux de poubelles, etc. Il peut évidemment s'agir d'outrages et de rebellions parce que les policiers sont forcément beaucoup plus au contact, notamment lors de contrôles d'identité, ce qui engendre un certain nombre de situations conflictuelles. Il faut aussi noter que la catégorie qui augmente le plus et est souvent mise en avant, ce sont les "vols avec violence". Or, quand on voit ce que recouvre cette catégorie, on se rend compte que ce sont essentiellement les vols de téléphones portables ! Quand on sait que les gens sont très fortement incités à déposer plainte pour le vol de leur téléphone portable parce que ces téléphones sont assurés et que, par ailleurs, on a un développement très fort de ce type de matériel, on se rend compte qu'il faut vraiment relativiser ces chiffres. Si on regarde sur la longue période, depuis les années soixante, on constate une augmentation exponentielle de la délinquance. Mais quand on regarde dans le détail, on s'aperçoit que cette augmentation correspond au développement de l'automobile en particulier, puisqu'une part très importante de la délinquance est liée aux voitures : bris de vitres, vols à la roulotte, les délits de fuite...

Quel est le rôle du Syndicat de la Magistrature ?

C'est une organisation syndicale qui regroupe des magistrats, c'est-à-dire à la fois les juges et les magistrats du parquet : procureurs et substituts du procureur. C'est une organisation progressiste, de gauche, qui est née en 1968, et qui a toujours été très en pointe dans la lutte pour les libertés. Cette dimension est d'ailleurs inscrite dans ses statuts, puisqu'en application de l'article 66 de la Constitution, les magistrats sont les garants de la liberté individuelle. Nous nous occupons aussi des problèmes statutaires, qui ont un retentissement sur la manière dont les gens sont jugés. Et puis le Syndicat de la magistrature est engagé dans le mouvement social, aux côtés des autres organisations, même s'il est indépendant des grandes centrales. Il entretient des liens avec Sud-Education, la Confédération Paysanne, des syndicats de la CGT, etc.

En tant que syndicat de magistrats, comment intervenez-vous dans le débat sur l'insécurité ?

Nous sommes dans un combat, au côté d'autres organisations, contre le développement des politiques sécuritaires. Actuellement, nous avons un gouvernement de gauche plurielle qui s'est complètement engagé de fait dans une politique de "tolérance zéro", puisqu'aujourd'hui le Parti Socialiste dit que "chaque acte doit avoir une réponse judiciaire" et que "toute transgression doit être punie". La droite, elle, emploie beaucoup plus naturellement le terme de "tolérance zéro", qui vient d'outre-atlantique. Aujourd'hui, on a une dérive qui nous paraît très inquiétante parce qu'on va considérer que le problème social majeur, ce sont les petits actes de transgression, sans se poser la question de leurs causes. Et sans se poser la question de ce qui crée véritablement dans notre société de l'insécurité. Or, la pratique de terrain des magistrats, mais aussi des policiers avec qui on a l'occasion de discuter de ce problème, nous apprend que la violence se déchaine sur la route, par le nombre extraordiairement élevé de suicides, par les violences sexuelles souvent intra-familiales, par les accidents du travail extrêmement meurtriers, etc. Nous avons l'impression qu'on essaie de déplacer le débat et de dire qu'en réalité, une des conséquences du caractère insécure de notre société, sans parler de l'insécurité économique et sociale, serait une des causes principales de l'insécurité. Ce qui me paraît être un véritable dévoiement du discours. En réalité, ce discours a un objectif politique : le renforcement des mesures visant à restreindre les libertés individuelles. On l'a vu depuis le 11 septembre, avec tout un tas de mesures législatives qui ont été ou sont en passe d'être adoptées, et qui restreignent à ce point les libertés individuelles que nous avons décidé de dire que la France vit pratiquement dans un Etat d'exception. La légalité républicaine a été pratiquement suspendue. C'est d'ailleurs l'opinion d'un parlementaire socialiste, qui l'a exprimée au moment du débat sur la loi relative à la sécurité quotidienne.

Comment expliquez-vous l'omniprésence du thème de l'insécurité dans la campagne présidentielle ?

Il y a bien sûr un objectif électoraliste dans ce type de discours. Mais on se rend compte que c'est une vague de fond beaucoup plus profonde, qui puise sa source dans l'Amérique des années quatre vingt. C'est le corrolaire de la politique libérale, puisque la théorie libérale vise à ce que l'Etat se désengage de tout un tas de secteurs, en particulier des aides économiques et sociales, pour se reconcentrer sur l'essentiel. A savoir la répression et, en particulier, la répression des catégories sociales qui apparaissent comme les plus dangereuses, en réalité les plus défavorisées. Si elles posent éventuellement des difficultés, c'est parce que, précisément, elles se trouvent dans des situations sociales difficiles.

Comment allez-vous vous faire entendre dans la campagne présidentielle ?

Lorsqu'ils se seront déclarés, nous interrogerons les différents candidats sur la politique qu'ils comptent mener sur le terrain de la délinquance, de la sécurité, des libertés individuelles et publiques... Mais c'est vrai que le tour que prend actuellement le débat public nous rend un peu pessimistes. Il semble y avoir une relative unanimité sur la nécessité d'apporter une réponse toujours plus répressive aux actes de délinquance. Personne ne semble vouloir hésiter à sacrifier les libertés individuelles sur l'autel d'une sécurité qui nous paraît largement factice.

Est-ce que vous avez le moyen, dans l'exercice de votre métier, d'infléchir ce cadre répressif ?

Il faut savoir, et c'est un gros problème institutionnel, que les magistrats du Parquet ne bénéficient pratiquement d'aucune indépendance, puisqu'ils sont nommés par le Président de la République après avis simple du Conseil de la Magistrature. Et surtout, ils sont insérés dans une chaîne hiérarchique qui part du substitut de base jusq'au Garde des Sceaux, qui membre de l'exécutif, en passant par les procureurs et les procureurs généraux. Autant dire que la liberté de manoeuvre d'un magistrat du Parquet "de base" est proche de zéro. La seule liberté, inscrite dans les statuts du substitut du Procureur de la République et des magistrats en général, c'est sa liberté de parole à l'audience. A Lyon on a par exemple vu récemment Albert Lévy requérir, devant un tribunal correctionnel médusé, une relaxe sur le fondement de l'état de nécessité à l'encontre de celle que la presse a surnommé "Agnès la voleuse". Le tribunal correctionnel de Lyon a choisi de rendre une décision très moderée, qui considérait que l'infraction de vol était constituée mais qui dispensait de peine cette jeune femme. Le Procureur de la République de Lyon, c'est-à-dire le supérieur hierarchique d'Albert Levy, a fait appel de cette décision et la cour d'appel de Lyon a prononcé une peine de six mois de prison avec sursis et de cinq ans de privation des droits civiques, civils et familiaux. Donc une peine extrêmement lourde pour ce qui n'est somme toute qu'un vol à l'étalage.

Qu'en est-il de la fameuse Loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ) ?

Cette loi a été votée mi-novembre 2001 dans la précipitation, au terme d'une procédure tout à fait scandaleuse puisqu'elle n'a pas été examinée par le Conseil Constitutionnel. C'est une loi que nous considérons comme foncièrement contraire à la Constitution, en particulier parce qu'elle permet, sur simple réquisition du Procureur de la République, de procéder à la fouille de tous les véhicules. Mais également parce qu'elle octroie aux vigiles et gardiens des sociétés de gardiennage privées des pouvoirs très importants, plus important que ceux des policiers. Les vigiles gagnent par exemple des pouvoirs de fouille des bagages à main et, sous condition d'un agrément administratif, un pouvoir de palpation. Le vigile peut procéder sans le consentement de la personne à une fouille visuelle des bagages à main, ce qui signifie pratiquement un contrôle d'identité puisque l'on porte souvent sur soi des papiers portant des éléments personnels, comme une enveloppe qui porte votre nom et votre adresse. La loi dit qu'avec le consentement de la personne, il peut procéder à la fouille d'un sac. Mais que vaut le consentement de quelqu'un qui a déjà ouvert son sac et se retrouve face à trois vigiles musclés ? Et si le vigile est agréé par le Préfet, il est autorisé à effectuer une palpation de la personne, c'est-à-dire mettre ses mains un peu partout.

On a l'impression que le fonctionnement judiciaire est perturbé par des causes extérieures, en particulier le terrorisme pour la LSQ...

Oui. Les mesures prises dans le cadre de la LSQ, une loi soit-disant anti-terroriste, s'appliquent à tout le monde et ne concernent en rien les enquêtes anti-terroristes. La lutte contre le terrorisme a été un pur prétexte. D'ailleurs, les parlementaires n'ont absolument pas été dupes, puisque plusieurs d'entre eux nous ont dit en aparté : "En réalité, on sait très bien que ce n'est pas contre le terrorisme, c'est simplement pour faire plaisir à nos électeurs qui demandent plus de sécurité et plus d'efficacité contre la petite délinquance."

Question pratique : doit-on donner ses empreintes digitales pour se faire faire une carte d'identité ?

Oui. Mais le problème, c'est que la carte d'identité n'est pas obligatoire et on peut tout à fait ne pas en avoir puisque l'article premier du décret qui rétablit la carte d'identité en France stipule qu'il est interdit d'instaurer une carte d'identité obligatoire à des fins de contrôle. C'est un document facultatif, comme les passeports, etc. Les seuls documents d'identité obligatoires sont les actes d'état civil. Hormis les étrangers, qui sont soumis à un régime particulier et tenus de présenter à toute réquisition les titres de séjour et d'entrée sur le territoire national, il n'y a aucune obligation d'avoir ses papiers sur soi. Par contre, le risque, c'est d'être retenu quatre heures pour des vérifications, c'est-à-dire que le policier téléphone chez vous, chez votre employeur, à la mairie de votre lieu de naissance, etc.

A qui s'adresser en cas de violence policière ?

J'aborde le sujet de manière périphérique dans le livre. Mais c'est une réalité. Il y a des abus et des violences, je crois qu'il ne faut pas les laisser passer. Il faut s'adresser soit à un service de police distinct, une gendarmerie par exemple. Depuis la loi du 15 Juin 2000, toute gendarmerie est dans l'obligation de recevoir les plaintes, même si elle est territorialement incompétente. Ensuite, il y a les services du Procureur de la République, qui est habilité à recevoir dans chaque Palais de Justice les plaintes. Ces services ont entre autres pour mission de contrôler l'activité des officiers et agents de police judiciaire de son ressort. Cependant, bien souvent, on se trouve face à un problème de preuves. Et devant le Tribunal, la parole du policier va souvent avoir plus de valeur que celle du plaignant. C'est déplorable mais il y a donc tout intérêt, lorsqu'on s'engage dans de telles démarches, à s'entourer de conseils et de preuves, avocats, témoins, certificats médicaux et d'étayer tout ça très sérieusement. Quant à l'Inspection Générale des Services, la police des polices, c'est vrai qu'on peut se demander dans de nombreuses affaires si elle ne sert pas d'enterrement de première classe pour les affaires concernant des officiers de police. Quelle est l'impartialité d'un service d'enquête qui dépend du même ministre que la personne accusée ? Et le traitement judiciaire des affaires policières laisse souvent à désirer...


Le site du Syndicat de la magistrature
Le compte-rendu des débats à l'Assemblée Nationale à propos du livre Clément Schouler
Le site de l'Esprit Frappeur, éditeur de "Vos Papiers !"
Le texte de la Loi relative à la Sécurité Quotidienne (LSQ)

 


Marée noire

  Faisant référence au retour de Didier Schuller, Patrick Devedjian , député RPR a accusé le PS d'une campagne "d'essence totalitaire".



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